Hypothèque à la retraite : ne vous laissez pas surprendre !

Les propriétaires de leur résidence principale ont profité, ces dix dernières années, d’un environnement de taux d’intérêt exceptionnellement favorable. Cette désormais (très) faible charge d’intérêt a permis à ces heureux propriétaires de dégager des liquidités pour rénover leur bien immobilier, voire pour demander une augmentation de leur hypothèque, en raison notamment de l’augmentation de la valeur vénale de leur bien[1].

Or, peu d’entre eux se préoccupent du traitement que leur banque leur fera subir lorsqu’ils seront à la retraite. Comme nous l’avons souvent évoqué dans ce blog, les suissesses et les suisses doivent s’attendre à une forte baisse de leurs revenus arrivés à l’âge de la retraite. Et lorsqu’on se rappelle des critères d’octroi des hypothèques, qui sont d’ailleurs quasiment identiques au sein du secteur bancaire suisse, on saisit l’ampleur du problème.

Aujourd’hui, les banques refusent de financer un bien immobilier si le « taux d’effort » excède le tiers du revenu brut. Ce taux d’effort est constitué de la charge d’intérêt en prenant un taux de 5% sur le montant prêté, d’un montant équivalent à 1% de la valeur vénale du bien au titre de l’entretien courant, et parfois également un amortissement de la dette en fonction de l’âge du débiteur ou s’il y a un 2ème rang[2]. Résultat : avec un revenu brut qui peut facilement être divisé par deux entre la situation pré- et post-retraite, le banquier (ou plutôt, son comité de crédit) ne sera plus d’accord de renouveler l’hypothèque. A noter qu’en cas de demande d’une hypothèque à taux fixe, le banque refusera en général une échéance après l’entrée à la retraite, pour ces mêmes raisons.

Quelles sont les solutions habituellement proposées par les banques dans cette situation ? Elles vont simplement exiger d’amortir une partie substantielle de la dette hypothécaire, de telle mesure à revenir à un montant prêté compatible avec les nouveaux revenus. En d’autres termes, il faudra utiliser vraisemblablement toute l’épargne du 3ème pilier, plus tout ou partie de l’épargne personnelle, voire même une partie du 2ème pilier. Dans les cas les plus extrêmes, le propriétaire sera forcé de vendre son bien afin de rembourser la banque.

Que faire pour ne pas en arriver là ? Comme toujours, plus tôt on prend conscience du problème, mieux on est en mesure de le gérer. Epargner le maximum admissible dans plusieurs comptes de 3ème pilier et ce, le plus tôt possible, est la première réponse évidente et fiscalement efficiente. Effectuer des rachats dans sa caisse de pension en est une autre. Dans les années à venir, la proportion de retraité-e-s qui vont opter pour retirer leur capital du 2ème pilier va augmenter, et donc on peut d’ores et déjà planifier qu’une partie de ce montant sera utilisé pour amortir l’hypothèque. Il faut rappeler ici qu’il ne s’agit que d’un transfert de capital vers le bien immobilier, dont la valeur nette – pour son propriétaire – va augmenter d’autant.

Il existe pourtant d’autres solutions, plus créatives et moins classiques, comme le crédit lombard ou l’hypothèque inversée, qui permet aux retraités de continuer à habiter leur bien immobilier jusqu’à une date prédéfinie, à laquelle le bien sera vendu.

Et comme le suggère très justement un de mes étudiants, D. Kreutzer[3], on peut également négocier avec sa banque ! Il est absurde d’utiliser un taux d’intérêt théorique de 5%[4] pour calculer le taux d’effort alors que le débiteur va opter pour une hypothèque fixe à 10 ans à 1.5%. Certes, il y a une incertitude sur les taux d’intérêt qui prévaudront à l’échéance de l’hypothèque, mais entre-temps, la charge d’intérêt reste totalement prévisible. Idem pour le fameux 1% de la valeur vénale au titre de l’entretien courant : selon l’état du bien, on peut aisément justifier un taux plus bas.

En conclusion, il faut éviter de se retrouver à court d’options avec sa banque, car on risque de se voir imposer une solution qui ne nous convient pas. Je conseille de réfléchir au problème bien en amont, soit au moins dix ans avant l’arrivée prévue à l’âge de la retraite, et de planifier soigneusement comment l’on va gérer la question de l’hypothèque à cette échéance. Entre-temps les pratiques des banques auront peut-être évolué, ou les taux d’intérêt augmenté, mais ce sont des scenarii dont on peut tenir compte, tout en gardant toujours une saine marge de manoeuvre pour les imprévus.

 

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[1] Selon une évaluation d’Immoscout24 en collaboration avec la société de conseil immobilier Iazi, le prix d’une maison individuelle est presque 10% plus cher qu’à l’été 2020, soit la plus forte hausse depuis 2013.

[2] Les banques ne financent en général que les 2/3 de la valeur vénale sur une hypothèque de 1er rang, qui peut ne pas être amortie. S’il faut aussi financer les 13.3% restants pour arriver aux fameux 80%, il va falloir souscrire à une hypothèque de 2ème rang, qui elle devra être amortie.

[3] David Kreutzer, « La capacité financière calculée pour l’acquisition d’un logement à usage propre en Suisse ». Travail de Bachelor à la HEG Genève, juillet 2021.

[4] Le taux hypothécaire de référence n’a plus atteint ce niveau depuis… 2009.

Frais des fonds 3a : une transparence à géométrie variable

En juin dernier, la conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo interpellait le Conseil Fédéral sur la transparence des coûts des produits d’investissement du pilier 3a. Elle constatait de fortes différences entre eux et notait que certains coûts étaient cachés. Sans surprise, dans sa réponse, l’exécutif explique que le système actuel basé sur la concurrence assure une transparence suffisante sur les coûts et que si l’on prend le temps de se renseigner, on trouve toutes les informations voulues. Affaire classée.

Contrairement aux produits d’assurance-vie, où les coûts opérationnels et de gestion sont effectivement cachés et où même les courtiers et les agents d’assurance eux-mêmes ignorent cette information, les fonds 3a sont plus transparents. Néanmoins, il existe quand même un certain flou dans les informations sur les coûts fournies sur ces produits, ainsi qu’une certaine mauvaise foi du Conseil Fédéral dans sa vision idéalisée du marché « concurrentiel » du 3ème pilier. Ce dernier représente plus de 130 milliards de francs d’une épargne bloquée, ce qui attise évidemment beaucoup de convoitises…

Parlons de la notion de « TER[1] ». Il y a plusieurs manières de le calculer, et même la nouvelle LSFin reste vague sur la notion de « frais récurrents ». Par exemple, si un gérant utilise d’autres fonds, ou des ETFs[2], dans le produit, ce qui est souvent le cas, il n’est souvent pas clair si les frais courants (frais de gestion, frais de structure) de ces instruments sont inclus dans le TER du produit. Si tel est le cas, tant mieux, mais un gérant bancaire prétendra souvent que si le produit 3a est investi dans ses propres fonds, cela est fait à travers les classes « sans frais »… or il ne parle bien évidemment que des frais de gestion[3] ! Les frais de structure de ces fonds, comme les frais de dépôt ou les frais administratifs, sont par contre toujours à la charge de l’investisseur. Et comme bien évidemment ces fonds sous-jacents sont déposés dans la même banque et administrés par la même banque, cette dernière charge donc bien ces frais de structure à double (une fois sur les fonds sous-jacents, et une fois sur le produit 3a).

Lorsque le Conseil Fédéral estime que le marché est concurrentiel, il a bien évidemment raison : chacune et chacun peut choisir librement son partenaire pour son épargne 3ème pilier. En pratique cependant, les clients sont captifs de leur banque ou de leur assurance, par paresse, ignorance ou facilité. Le choix qu’il leur est offert est dès lors limité aux produits internes, et ce ne sont évidemment pas les moins chers ! Une étude récente de la Handelszeitung qui compare l’offre de produits 3a est édifiante : les TERs des fonds 3a bancaires vont jusqu’à 1.70% (UBS Vitainvest World 75 Sustainable, gestion active), alors que les fonds 3a offerts par des fondations sont souvent bien moins chers.

On pourrait également s’étonner des commissions d’achat (voire de vente) chargées sur ces produits, alors qu’ils sont déjà très rentables pour les institutions qui les émettent. Comme client captif, la peine est double : pas de choix, et une pénalité d’entrée, qui réduit d’autant la performance réalisée.

Et je ne parle même pas des performances, car là je serais hors sujet. Mais il y aurait également beaucoup à dire là-dessus. L’étude susmentionnée permet déjà d’avoir une idée de l’ampleur du problème, car une infime partie des produits analysés surperforme l’indice de référence.

Une fois de plus, caveat emptor. Une chose est certaine : ces produits sont très rentables pour leurs émetteurs. Or, chaque franc chargé de trop est un franc de moins épargné pour la retraite, et l’impact cumulatif des frais est énorme sur une durée de plusieurs dizaines d’années. Passez donc du temps pour analyser l’offre disponible sur le marché et, le cas échéant, ouvrez une autre relation bancaire, vendez les produits trop chers et/ou sous-performants et transférez votre capital chez un partenaire plus compétitif.

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[1] Total Expense Ratio.

[2] Exchange-Traded Funds. Fonds de placement qui peuvent être achetés et vendus en bourse, comme des actions.

[3] Les banques n’osent quand même plus charger des frais de gestion à double.

Oui, l’avoir LPP vous appartient (!)

A chaque mois son étude qui amène des informations étonnantes – pour ne pas dire alarmantes – sur le système de prévoyance suisse. Cette fois il s’agit d’une étude de marché effectuée par Sotomo pour le compte de la fondation collective Vita, qui nous apprend que moins de la moitié (44%) des personnes interrogées considèrent leur capital LPP comme faisant partie de leur patrimoine !

Pause. S’agit-il d’une étude sérieuse ? Il semble bien que oui. Cette enquête a été menée sur un échantillon représentatif de 1’608 personnes résidentes en Suisse. Quant à Sotomo, il s’agit d’un institut de recherche indépendant basé à Zürich et fondé en 2007. Et Vita est la fondation collective de la Zürich assurance, l’une des plus importantes en Suisse.

Revenons au message de cette étude : malgré le fait qu’elles cotisent tous les mois pour alimenter leur avoir LPP, une majorité des personnes interrogées semblent donc penser que cet argent « disparaît » quelque part dans les méandres impénétrables du système de prévoyance… et espèrent qu’il pourra être récupéré au moment de prendre leur retraite. Pourtant cet argent leur appartient bel et bien, même s’il est défiscalisé (heureusement !) et qu’il ne doit pas être déclaré comme fortune dans la déclaration d’impôts. La confusion vient peut-être de là.

Et pourtant, on ne peut pas objectivement prétendre que le système est opaque. Chaque année, toutes les personnes cotisant au 2ème pilier reçoivent leur certificat LPP par courrier. Si elles prennent le temps de s’y intéresser, elles y trouveront beaucoup d’informations utiles, comme leur prestation de libre-passage ou encore le montant des rachats possibles. Et en cas de question, tant leur employeur que la caisse de pension doivent être à même d’y répondre.

Malheureusement, cette étude confirme ce que l’on constate en interrogeant casuellement des Suissesses et des Suisses qui ne travaillent pas directement dans le milieu de la prévoyance : le système des trois piliers est compliqué, rébarbatif et peu sont motivés de s’intéresser à leurs droits… au point qu’en 2020, le fonds de garantie LPP indique gérer un total de 159 millions d’avoirs LPP de près de 24’000 personnes qui n’ont pas réclamé leur dû dix ans après le début du droit à la retraite ! S’il paraît incroyable que l’on puisse ainsi « oublier » que l’on possédait un avoir LPP, combien de survivants (veuves, veufs, enfants) ont ainsi été privés de rentes en raison de cet oubli ? Un véritable gâchis.

L’autre message de cette étude est que la moitié des personnes interrogées pensent qu’elles ne recevront pas la totalité de leur avoir de vieillesse indiqué sur leur certificat LPP au moment de prendre leur retraite. Techniquement, ce montant n’est effectivement qu’une projection basée sur des éléments actuels (salaire, taux minimal LPP, etc.) qui peuvent changer dans le futur. Néanmoins, il est probable que cette méfiance soit plutôt un autre indicateur du manque de confiance qu’a la population dans notre système de prévoyance. Les jeunes adultes en particulier semblent désabusés : ils s’attendent à devoir travailler plus longtemps et à la retraite, toucher des rentes plus basses que leurs parents. Ils ont très probablement raison, et cela explique leur propension accrue à l’épargne et à l’investissement. Et c’est exactement ce qu’il faut faire.

Paradoxalement, la génération précédente, actuellement cinquantenaire, pense en général toujours qu’elle va pouvoir profiter des mêmes avantages que les baby-boomers, avec une retraite généreuse voire, pourquoi pas, la possibilité de partir en retraite anticipée… Si pour certains d’entre eux ce sera effectivement encore possible, beaucoup d’autres vont au-devant de grandes déceptions et ils feraient mieux de commencer à s’intéresser à ces questions… afin de corriger le tir avant qu’il soit vraiment trop tard.

L’inexorable essor de la retraite flexible

Le chiffre interpelle : selon une étude de l’OFS publiée il y a quelques jours, près de la moitié des suissesses et des suisses qui ont pris leur retraite en 2019 l’on fait avant d’arriver à l’âge officiel de la retraite. Ces personnes font-elles partie des plus privilégiées ? Pas vraiment : pour celles ayant opté pour la rente, la rente LPP médiane mensuelle s’élève à 1’160.- pour les femmes et 2’144.- pour les hommes. Et pour les personnes ayant choisi de retirer leur capital de prévoyance, on parle d’un montant médian de 59’000.- pour les femmes et de 142’900.- pour les hommes. Même si chaque cas est différent et les motivations toutes aussi variées, il est probable qu’une partie de ces personnes ont choisi de passer leur retraite à l’étranger – car avec un tel niveau de revenus, la vie en Suisse est difficilement envisageable. D’autant plus que la rente AVS est également réduite si on la demande avant l’âge officiel… Faire le choix de la retraite anticipée, c’est donc bloquer le compteur – et espérer avoir fait correctement ses calculs de planification financière.

La même étude montre qu’une faible proportion de la population choisit de percevoir sa retraite après l’âge officiel : 13% des femmes et 7% des hommes pour la rente, et respectivement 21% et 18% pour le retrait en capital. Continuer de travailler après l’âge de la retraite reste souvent compliqué, même si on le souhaite – ou que l’on en a besoin[1]. Le système de prévoyance actuel pénalise en effet les employé/e/s en fin de carrière qui coûtent plus cher à leur employeur que des personnes en début de carrière, en proportion de leur salaire annuel (lui aussi plus élevé d’ailleurs).

Mais les lignes commencent à bouger. La raison principale est démographique : les baby-boomers[2] seront tous partis à la retraite d’ici la fin de la décennie, et une grande partie d’entre eux y sont déjà. La génération suivante, dite « X », est certes déjà bien installée mais bien plus petite en taille, ce qui est le cas également des générations suivantes. Malgré les gains de productivité enregistrés depuis une trentaine d’années, et la digitalisation croissante de l’économie, on ne va pas réussir à éviter un sérieux goulet d’étranglement au niveau de l’emploi[3]. En d’autres termes, les entreprises, mais également l’Etat ne pourront bientôt plus se permettre de laisser tous ces séniors quitter le monde du travail, au risque de perdre un savoir précieux dans de nombreux domaines où l’on constate déjà des pénuries : médecins, ingénieurs, services à la personne, etc.

Or, le monde politique peine à intégrer cette réalité. La proposition du Conseil Fédéral en faveur des chômeurs de plus de 60 ans est certes un premier pas, mais il est bien trop timide : il ne s’agit pas seulement de protéger cette catégorie de travailleurs, mais surtout d’encourager les employeurs de les garder, y compris après l’âge de la retraite s’ils le souhaitent. Dans beaucoup de professions, notamment celles où l’effort physique ou les conditions de travail deviennent pénibles pour les plus âgés, il faut prévoir une évolution de carrière vers des fonctions où leur expérience et leur savoir-faire sont mis en valeur, comme la formation interne, le consulting auprès du management, les relations avec les clients, etc.

L’Etat fédéral, avec ses nombreuses régies, pourrait montrer l’exemple, et les cantons également. Ces derniers pourraient aussi commencer à intégrer des séniors comme intervenants externes ou consultants dans leurs écoles spécialisées, afin de partager leur riche expérience professionnelle avec la nouvelle génération.

Et pour les employés, les avantages de repousser l’âge de la retraite sont nombreux :

  • On peut ainsi rester actif/ve et continuer à contribuer au développement de son employeur et de l’économie, en étant reconnu/e pour ses compétences, ce qui reste très valorisant sur le plan personnel.
  • Les avantages financiers sont évidents : augmentation de la rente AVS (jusqu’à 31.5% pour un report de 5 ans, le maximum), augmentation de l’avoir de prévoyance et de l’épargne, maintien du niveau de vie (permettant par exemple de financer les études longues des enfants), etc.
  • Sur le plan fiscal, on peut continuer à déduire les cotisations du 3ème pilier[4], ainsi que, bien entendu, les dépenses liées à l’activité professionnelle.
  • On dispose enfin de plus de temps pour régler des questions souvent complexes comme l’hypothèque (plus difficile à refinancer à la retraite), la succession, la transmission d’entreprise, etc.

Il y a donc bien une solution « Win-Win » pour les employeurs et les employés s’ils se mettent d’accord pour prolonger leur collaboration au-delà de l’âge officiel de la retraite. Comme ces personnes souhaitent souvent réduire leur temps de travail, le coût total pour l’employeur diminue – ce qui anéantit l’argument-bateau du coût excessif des séniors. Autant s’y habituer, car cette retraite dite « flexible » va devenir la norme – et le plus tôt ce sera le mieux.

[1] Environ 40% des suissesses et des suisses âgés entre 50 et 64 ans souhaiteraient travailler au-delà de l’âge de la retraite, soit env. 230’000 personnes, d’après une enquête de Deloitte Switzerland (2019), disponible ici : https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/innovation/deloitte-ch-en-ageing-workforce-workers-needed.pdf

[2] Personnes nées entre 1946 et 1964.

[3] Selon une étude d’UBS, si les tendances actuelles continuent, le marché suisse de l’emploi sera en déficit de main d’œuvre d’un demi-million de personnes en 2030 (« UBS Outlook Switzerland – Generation Silver in the labour market », 2017)

[4] Jusqu’à l’âge de 69 ans pour les femmes et 70 ans pour les hommes.

Le système de retraite suisse se retrouve dans le 2ème quartile au niveau mondial. Vraiment ?

Dans leur dernier rapport « Global Pension Index 2020[1] », Mercer et le CFA Institute évaluent 39 systèmes de retraite à travers le monde selon trois grands critères : l’adéquation par rapport à la aux besoins spécifiques de la population, sa pérennité, et sa bonne gouvernance. Avec 67.0 points, la Suisse se classe au 12ème rang et obtient la note B, loin des deux champions hors catégorie que sont les Pays-Bas (82.6 points) et le Danemark (81.4 points) qui obtiennent la meilleure note, A.

Mais derrière tout classement il y a une méthodologie, et lorsqu’on examine plus près la situation de la Suisse, force est de constater que certaines de ses spécificités expliquent en grande partie les résultats obtenus. A titre d’illustration, prenons les cinq points d’amélioration de notre système que proposent les auteurs :

  • Obligation de prendre au moins une partie de l’avoir de retraite sous forme de rente ;
  • Augmentation progressive de l’âge de la retraite ;
  • Réduction du niveau d’endettement par ménage ;
  • Augmentation du ratio des propriétaires vs. locataires ;
  • Réduction des droits de toucher aux avoirs de prévoyance avant la retraite.

Pour le premier point, il semble aujourd’hui peu pertinent, car encore près de la moitié des retraité-e-s choisissent la rente[2]. Si les caisses de pension souhaiteraient certainement que cette proportion soit plus basse, la tendance vers le retrait partiel, voire total de l’avoir de prévoyance en capital progresse lentement mais sûrement en raison de la baisse continue des taux de conversion.

Le second point est indiscutable, et il est à l’agenda des autorités politiques.

Les troisièmes et quatrièmes points sont liés. La Suisse a le plus haut taux d’endettement des ménages au monde[3], mais cela n’étonne personne qui vit dans notre pays. Les suissesses et les suisses ne sont pas des sur-consommateurs maladifs cumulant les cartes de crédit. L’endettement provient bien entendu des hypothèques détenues par les propriétaires qui, en raison des prix de l’immobilier résidentiel, sont très élevées en comparaison internationale. Or, en raison des taux d’intérêt très bas et de la déductibilité fiscale des dettes privées, il est tout à fait rationnel pour un propriétaire de ne pas amortir son hypothèque de 1er rang[4].

Il faut également mettre en regard le taux d’épargne, et là qu’est-ce que l’on constate ? Que la Suisse est là aussi la championne du monde ! Sur un classement de 22 pays établi par Statista[5], le taux d’épargne des ménages suisses atteint 17.6% du revenu disponible en 2019, devant la Suède (17.1%). Selon un autre classement[6] en fonction du taux d’épargne des ménages en pourcentage du PIB, la Suisse arrive 27ème sur 178 pays avec un taux de 34.9% pour 2018.

L’endettement hypothécaire étant indissociable du patrimoine immobilier, cela n’a pas échappé aux auteurs qui recommandent aux suissesses et aux suisses de devenir propriétaires. Or, en raison d’une réglementation de plus en plus exigeante, les banques n’ont pas assoupli leurs conditions d’octroi de crédits hypothécaires. Les conditions-cadres ne sont pas prêtes de s’améliorer sur ce plan-là.

Quant au dernier point, il se réfère à la possibilité de retirer une partie des ses avoirs de prévoyance pour se lancer dans une activité indépendante… ou pour acquérir un bien immobilier ! Les auteurs se contredisent donc dans leurs recommandations.

En conclusion, le système de prévoyance suisse, malgré ses défauts bien connus qui font d’ailleurs l’objet d’un énième projet de réforme, est bien meilleur que ce classement semble indiquer. Les auteurs appliquent une même méthodologie à 39 systèmes de retraite qui ont tous des spécificités locales particulières et qui les rendent in fine peu comparables…

 

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[1] Disponible ici : https://www.mercer.com.au/our-thinking/global-pension-index.html

[2] Source : OFS. En 2018, 48% des nouveaux retraité-e-s ont choisi la rente, 19% un mélange entre rente et capital, et 33% le retrait du capital.

[3] Source : IMF. Avec un pourcentage de 128.7% de dette des ménages par rapport au PIB, la Suisse est loin devant le No 2, l’Australie (120.14%) et le No 3, le Danemark (115.5%). Chiffres de 2018.

[4] Il faudra quand même prévoir d’être en mesure de réduire cette hypothèque au moment de la retraite, afin d’éviter une discussion pénible avec sa banque et des conséquences qui peuvent être très sérieuses. Mais c’est un autre sujet.

[5] https://www.statista.com/statistics/246296/savings-rate-in-percent-of-disposable-income-worldwide/

 

[6] https://www.indexmundi.com/facts/indicators/NY.GDS.TOTL.ZS/rankings. Ce classement est à prendre avec des pincettes, car les chiffres de certains pays semblent anciens ou peu plausibles.

 

Article 47a LPP : une option intéressante pour les 58 ans et plus

Le nouvel article 47a LPP qui entrera en vigueur ne vous dit peut-être rien, mais mérite que vous vous y intéressiez si vous avez plus de 58 ans et que, dans le contexte économique actuel, votre poste de travail pourrait être menacé.

Le 1er janvier prochain, ce nouvel article entrera en vigueur. Celui-ci émane de la modification de la loi sur les prestations complémentaires (LPC).

Alors, quoi de neuf pour les assurés de 58 ans et plus ? Cet article introduit l’option, pour les personnes qui perdent leur emploi peu de temps avant la retraite, de maintenir leur prévoyance professionnelle et ainsi conserver leur droit de percevoir une rente à la retraite. Ceci est applicable à la prévoyance professionnelle obligatoire et enveloppante.

Ce qu’il convient de retenir, c’est le fait de pouvoir conserver son droit à percevoir une rente à la retraite.

En effet, quid des personnes qui se retrouvent actuellement avec une prestation de sortie transférée sur un compte ou une police de libre passage ? A terme, pas de possibilité de percevoir une rente : seul un capital-retraite sera versé au(à la) retraité(e). Même si toucher un capital en lieu et place d’une rente peut avoir des avantages, notamment au niveau fiscal, il n’est pas aisé, pour tout un chacun d’assumer la gestion d’un capital et surtout de prendre sur ses épaules le risque de longévité.

Relevons que si le maintien a duré plus de deux ans, les prestations sont versées sous forme de rente. Cela semble logique étant donné que l’intention du législateur est de garantir le versement d’une rente et d’éviter le versement de PC par la suite. Une exception existe, à savoir si le règlement de l’institution de prévoyance prévoit le versement d’une partie des prestations sous forme de capital.

Pendant la période de maintien, l’assuré(e) peut à titre facultatif augmenter sa prévoyance vieillesse en versant des cotisations. Notons que la prestation de sortie reste dans l’institution de prévoyance même si l’assuré(e) n’augmente plus sa prévoyance vieillesse. Cependant, il est tenu dans tous les cas de verser des cotisations pour la couverture des risques de décès et d’invalidité, ainsi que des frais administratifs.

L’assuré(e) qui opte pour le maintien sera exempté(e) de la prévoyance professionnelle obligatoire des chômeurs.

Les cotisations de l’employé et celles de l’employeur, pour les risques de décès et d’invalidité ainsi que pour les frais administratifs, sont 100% à charge de l’assuré(e). Il en va de même s’il ou si elle choisit de verser en plus des cotisations d’épargne.

Pour quelqu’un qui vient de perdre son emploi, on peut concevoir qu’un(e) assuré(e) hésite à verser des cotisations épargne, ce d’autant plus que la part de l’employeur sera également à sa charge comme précisé précédemment. Dans ce cas, dommage, car son avoir de vieillesse ne sera plus alimenté. Toutefois subsiste un avantage non négligeable : à l’âge de la retraite, il/elle bénéficiera du taux de conversion appliqué à l’âge réglementaire de la retraite.

Les personnes qui font usage de l’art. 47a LPP peuvent continuer à rembourser les versements anticipés dans le cadre de l’encouragement à la propriété du logement. Il leur est en outre possible d’effectuer des rachats.

L’assurance prend fin à la survenance du risque de décès ou d’invalidité et bien sûr lorsque l’assuré(e) atteint l’âge réglementaire de la retraite. Si l’assuré(e) entre dans une nouvelle institution de prévoyance, l’assurance prend fin si plus de 2/3 de la prestation de sortie sont nécessaires au rachat de toutes les prestations réglementaires dans la nouvelle institution de prévoyance.

L’assurance peut être résiliée en tout temps par l’assuré(e). Elle peut l’être par l’institution de prévoyance en cas de non-paiement des cotisations.

De leur côté, les institutions de prévoyance devront adapter leur règlement sur plusieurs points. Elles disposent d’une certaine marge de manœuvre et peuvent notamment prévoir le maintien dès l’âge de 55 ans et ont la possibilité de définir le maintien sur un salaire inférieur au dernier salaire assuré. L’OFAS a d’ailleurs consacré une partie importante de ses deux derniers bulletins de la prévoyance professionnelle, aux questions soulevées dans le cadre de la mise en œuvre de ce nouvel article.

Et puis finalement, n’oublions pas que les institutions de prévoyance devront continuer à informer les assuré(e)s de toutes les possibilités légales et réglementaires pour maintenir la prévoyance.

 

P.S. Dans le cadre de la loi COVID-19, le Parlement a inclus dans la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) une disposition transitoire concernant l’art. 47a LPP. Les assurés âgés de 58 ans et plus qui ont perdu involontairement leur emploi après le 31 juillet 2020 ont aussi la possibilité de demander le maintien de leur assurance à partir du 1er janvier 2021.

L’avenir sombre de la prévoyance en Suisse

Swisscanto vient de publier son étude annuelle sur les caisses de pensions suisses[1] et le constat n’est pas réjouissant. Les tendances négatives de la prévoyance professionnelle se poursuivent depuis désormais près de dix ans, selon Heini Dändliker de la ZKB.

En raison de la baisse continue des taux techniques et de l’augmentation de la longévité, les taux de conversion ne cessent de baisser :

Mais comme le montre cette étude, le taux de conversion minimal pour les avoirs obligatoires, qui reste fixé à 6.8% par la loi depuis 2006, est toujours trop haut[2]. Quelles en sont les conséquences ? Une redistribution des assurés actifs envers les retraités que la CHS-PP, l’organe de régulation de la prévoyance professionnelle, estime à près de 60 milliards sur les dix dernières années ! En d’autres termes, les caisses de pensions puisent dans les capitaux de prévoyance des actifs pour servir des retraites trop élevées.

Si elles n’ont pas le choix pour la partie obligatoire, les caisses de pension cherchent à rétablir l’équilibre en imposant des taux de conversion beaucoup plus bas pour la partie sur-obligatoire, et c’est ce qui explique pourquoi le taux de conversion combiné (qui inclut la partie obligatoire et sur-obligatoire) moyen se retrouve aujourd’hui à 5.63%. Les participants à l’enquête de Swisscanto anticipent d’ailleurs une baisse à 5.24% pour 2024. A ce rythme, les assurés qui sont à dix ans de la retraite doivent s’attendre à un taux de conversion inférieur à 5%…

En attendant une hypothétique réforme de la prévoyance, les caisses de pension doivent trouver des solutions pour rétablir l’équilibre, car compter sur la contribution du « tiers cotisant[3] » n’est pas une stratégie, surtout dans un environnement de taux négatifs voué à perdurer. Voici quelques pistes déjà suivies ou à venir :

  • Augmentation des cotisations de l’employé et/ou de l’employeur
  • Possibilité pour les assurés de choisir parmi différents plans de prévoyance
  • Prolongation de la durée de cotisation (avancement de l’âge du début de cotisation, report volontaire de l’entrée en retraite)
  • Facilitation du choix du capital plutôt que la rente à la retraite
  • Apports de l’employeur à la caisse de pension
  • Utilisation des réserves de la caisse de pension

Le fait que les suissesses et les suisses vont devoir cotiser plus, que ce soit volontairement (épargne personnelle, compte 3A, rachats dans le 2ème pilier) ou non, afin de s’assurer une retraite acceptable, est désormais une évidence. L’ignorer ou espérer une réforme miraculeuse de notre système de prévoyance (ou, plus cyniquement, compter sur les prestations complémentaires) n’est pas non plus une stratégie.

[1] Disponible ici : https://www.swisscanto.com/ch/fr/is/prevoyance/etude-caisses-de-pension.html

[2] La proposition du Parlement de l’abaisser à 6.4% a été massivement rejetée en votation populaire en 2010.

[3] Les marchés financiers, qui ont bien aidé les caisses de pension en 2019 avec une performance moyenne de 10.85%.

2ème pilier : la rente en perte de vitesse

Les taux de conversion baissent en silence, et les rentes des futurs retraités avec.

Certes, le taux minimum légal de 6.8% semble toujours acceptable, sauf qu’il ne s’applique que sur la part obligatoire du capital épargné (ou « avoir de vieillesse LPP » dans le décompte de prévoyance). Pour celles et ceux qui gagnent plus que 85’320.- par an, la part dite « sur-obligatoire » va être convertie à un taux beaucoup plus bas – ce n’est pas une prédiction, c’est une certitude. En fait, c’est déjà le cas. Il y a deux ans, la caisse de pension de l’UBS faisait la une des journaux avec sa décision d’abaisser son taux de conversion de 5.44% à … 4.42%. Depuis, d’autres ont suivi le mouvement, plus discrètement.

Avec un taux de conversion pondéré de 5%, un/e assuré/e ayant 500’000 CHF sur son compte 2ème pilier ne pourra espérer qu’une rente mensuelle de 2’083 CHF à la retraite. A cela s’ajoute bien entendu la rente AVS, mais même si cette dernière est complète, les revenus combinés du 1er et du 2ème pilier seront certainement bien inférieurs à l’objectif de 60% des revenus avant l’entrée à la retraite. Les suissesses et les suisses sont en train de comprendre ce qui les attend.

Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que plus d’un tiers des personnes ayant atteint l’âge de la retraite et jusqu’à cinq ans après déclarent qu’elles ont retiré tout ou partie de leur capital de retraite[1]. Cette proportion va considérablement augmenter dans les dix prochaines années. Ce n’est pas une prédiction… c’est une certitude :

  • Un nombre grandissant de caisses de pensions vont imposer le retrait d’une partie du capital de retraite, au-delà d’un certain montant, afin de réduire leurs risques ;
  • Les assuré/e/s vont prendre conscience de la faiblesse de leurs rentes et vont préférer disposer librement de leur capital afin de tenter de générer de meilleurs rendements ;
  • Malheureusement, certains assuré/e/s vont également faire le choix de quitter la Suisse avec leur capital pour vivre leur retraite sous des cieux où la vie est moins onéreuse… et non, cela ne concerne pas que les salaires modestes.

Afin de se ménager le plus d’options à la retraite, il n’y a qu’une seule solution : prendre conscience du problème le plus tôt possible. Et bien sûr, agir. Comment ? En épargnant de manière intelligente et disciplinée. C’est le seul moyen d’y arriver. Et là encore, ce n’est pas une prédiction, mais une certitude.

 

 

[1] Source : Office Fédéral de la Statistique, communiqué de presse du 6 juillet 2020.