Les risques cachés des ETFs indiciels

En gestion institutionnelle, l’essor de la gestion passive est une tendance lourde. Dans un environnement à rendements bas, chaque centime compte et la chasse aux coûts de gestion est désormais le principal cheval de bataille des consultants. Et il y a bien sûr cette bibliothèque d’études qui démontrent que les gérants actifs, en moyenne, ne réussissent pas à battre leurs indices de référence. Comment dès lors justifier l’investissement dans un fonds géré activement, lorsqu’on peut désormais répliquer un indice quelconque pour un coût dérisoire ? De plus en plus de conseillers en gestion de fortune indépendants se tournent également vers ces produits afin de faire baisser les coûts intrinsèques de gestion pour leurs clients privés. Or, comme on va le voir, ce type de produits qui sont devenus presque des standards contiennent des risques qui ne sont pas évidents à priori (ou volontairement ignorés ?…).

Sur la question de la gestion active vs. passive, qui reste le débat le plus ancien – et toujours très disputé[1] – en Finance, il y aurait beaucoup à dire, et ce n’est pas le propos de cet article.

Ce qui nous intéresse ici c’est le fonctionnement des indices basés sur la capitalisation, qui représentent l’immense majorité des indices que répliquent les ETFs[2] indiciels.

  • Dans le monde obligataire, les indices sont pondérés en fonction de la taille de la dette émise par les divers émetteurs qui le composent. En d’autres termes, plus un émetteur est endetté, plus sa proportion dans l’indice est élevée. Dit encore autrement, plus un émetteur est risqué, plus son poids sera important dans un ETF indiciel obligataire ! Ainsi que l’a démontré une étude récente de BoA, plus la taille d’un émetteur est grande, plus la chute de ses obligations est rapide et violente[3] en cas de dégradation de sa situation financière. Les exemples sont légion : General Motors, Kraft Heinz, Ford, Hertz,… Idem dans l’univers des émetteurs souverains : Argentine, Venezuela, Ukraine, Equateur, Liban…. Comme on peut le voir dans ce graphique de BNP Paribas datant de 2018, la vie d’un indice en obligations émergentes, pourtant bien diversifié, est rythmé par les crises régulières de ses constituants :

 

Il est d’ailleurs ironique de constater que le plus grand émetteur dans l’indice J.P. Morgan Emerging Bond Index Global Diversified[4], le Mexique, est celui qui a fait défaut le plus de fois (dix !) sur sa dette extérieure sur les deux derniers siècles[5].

 

  • Pour les actions, c’est la capitalisation boursière qui est le critère de pondération. Aujourd’hui, cinq titres, les fameux « FAANG » (Facebook, Apple, Amazon, Netflix et Google[6]) représentent pas moins de 18% de l’indice-phare du marché américain, le S&P 500. Le dernier entré dans cet indice, le 20 décembre dernier, n’est autre que Tesla… après avoir bondi de 730% en 2020 ! Les investisseurs détenant des ETFs sur le S&P 500 n’auront donc aucunement bénéficié de l’extraordinaire – certains diront : complètement exagérée[7] – performance de cette action jusqu’à cette date. Par contre, ils sont désormais exposés à hauteur de 1.6% à sa performance future… Aucun doute qu’elle sera bien moins flamboyante.

Investir dans un fonds ou un ETF qui réplique un indice boursier pondéré par les capitalisations revient donc à être exposé aux gagnants d’hier. En termes de styles de gestion, cela s’appelle du « momentum ».  A l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les investisseurs en produits indiciels font donc du « momentum » sans forcément en être conscients. Et tout comme les autres styles d’investissement plus classiques, comme la « Value », les « Small Caps » ou encore le « Low Volatility », le style « Momentum » a ses caractéristiques propres, dont le fait  de se retourner brutalement après une forte hausse.

Même la Réserve Fédérale américaine s’inquiète des risques que représente l’essor des investissements passifs[8]. Car les investisseurs qui achètent ces produits indiciels dirigent leurs capitaux de manière disproportionnée vers les titres ayant la plus grande pondération… ce qui fait encore monter leur cours et créé ainsi un phénomène auto-corrélé typique du style « momentum ». Or ce mécanisme est parfaitement symétrique, et des sorties massives vont provoquer exactement le phénomène inverse… qui alimentera ainsi une spirale baissière. On a eu un exemple de la brutalité du phénomène en mars 2020, où les principaux indices ont chuté avec une rapidité jamais vue auparavant. Sans le support massif et immédiat des banques centrales, le rebond – tout aussi brutal d’ailleurs et qui a également exacerbé les excès de valorisation sur certains « titres stars » – n’aurait pas eu lieu.

Ce type de risque a été également mis en évidence lors de la bulle spéculative de 1999-2000, où après une hausse fulgurante qui a vu la pondération des secteurs dits « TMT[9] » représenter environ un quart des principaux indices de marché des pays développés, l’inévitable retour à la réalité a provoqué un terrible marché baissier qui a duré trois ans. Qui se rappelle des « darlings » de l’époque, comme Nokia, WorldCom, France Télécom et autres Vivendi ? On leur prévoyait la croissance infinie, ce qui permettait de justifier des valorisations extrêmes. Coïncidence fortuite avec ce qu’il se passe actuellement sur certains « titres stars » ? Est-ce vraiment différent cette fois ?…

Ceux qui ignorent le passé sont condamnés à le répéter[10].

 

[1] Sinon, comment expliquer qu’une large majorité de tous les actifs dans le monde soit toujours gérée de manière active ?

[2] Exchange Traded Fund. C’est un fonds qui est coté en Bourse. La plupart des ETFs répliquent la performance d’un indice de marché.

[3]  « The bigger they are, the harder they fall », Bank of America Global Research, 2020.

[4] Sur lequel sont indicés plus de USD 300 milliards, selon le Wall Street Journal.

[5] « Sovereign Bonds since Waterloo », CESifo Working Papers, 2019. A noter que la Colombie et le Costa Rica partagent la première place sur le podium avec le Mexique avec 10 défauts sur la période 1815-2016.

[6] En réalité Google n’est plus listée directement, mais à travers sa holding Alphabet.

[7] Même son CEO, Elon Musk, considère le titre « surévalué ». Et c’était en mai 2020.

[8] “The Shift from Active to Passive Investing: Risks for Financial Stability?”, Federal Reserve of Boston, 2018.

[9] Technologie, médias et télécoms.

[10] «Those who cannot remember the past are condemned to repeat it», George Santayana, 1905.