Gestion indicielle : le vrai coût de la débâcle du Credit Suisse

Peu après la « fusion » précipitée entre l’UBS et le Credit Suisse (CS), beaucoup de gérants et d’investisseurs en actions suisses ont communiqué que l’impact de la chute finale de l’action de la deuxième banque suisse était nul (ils n’en avaient pas) ou alors très limité. Il faut toujours prendre ces déclarations avec quelques pincettes, car celui qui a vendu ces actions le vendredi peut toujours affirmer qu’il n’en détenait pas lorsque le sort du Credit Suisse a été scellé le week-end suivant…

Mais la question intéressante n’est pas là. Le Credit Suisse était parmi les plus grandes entreprises suisses avant la crise financière de 2008, et par conséquent son poids dans les indices d’actions suisses était conséquent. Début 2007, il était d’environ 7.5% du Swiss Performance Index (SPI). Actuellement[1], il n’est plus que de 0.2%. Pour chiffrer la perte subie par les investisseurs qui détenaient leur exposition en actions suisses via un fonds ou un mandat visant à répliquer le SPI, en gestion passive/indicielle donc, la perte totale s’élève à plus de 7% sur ces 16 dernières années. Si l’on part de l’hypothèse qu’en 2007, la moitié des caisses de pensions suisses avaient opté pour une gestion passive de leur allocation en actions suisses, estimée elle-même à 10%, l’impact en francs de la chute interminable de l’action du CS sur cette période est d’au moins 2 milliards[2] pour l’ensemble des institutions de prévoyance (et on ne parle pas ici de l’AVS et de la BNS, qui gèrent l’argent des Suissesses et des Suisses et qui suivent toutes les deux une gestion purement indicielle).

Bien entendu, la gestion passive/indicielle a également ses avantages, comme celui de sélectionner « automatiquement » les gagnants (c’est-à-dire les actions qui surperforment les autres) car leur poids dans les indices ne fait qu’augmenter dans le temps[3]. Mais cela n’est pas un free lunch, et pour avoir cela il faut accepter de rester exposé aux « perdants », c’est-à-dire ceux qui sous-performent les autres, à l’instar du CS.

Y avait-il un moyen d’identifier plus tôt une telle débâcle ? Les gérants actifs qui ne détenaient pas d’actions bancaires avant la crise financière de 2008 étaient certes rares, mais ceux qui ont décidé de ne plus en détenir après sont déjà plus nombreux. Leur raisonnement était souvent de considérer que les nouvelles réglementations prudentielles allaient rendre les institutions bancaires moins rentables, et c’est effectivement ce que l’on a constaté[4].

Mais une approche basée sur le risque peut également fonctionner. Par exemple, un gérant basé à Berne a exclu[5] les grands titres bancaires de sa gestion en actions suisses « minimum variance » dès sa création en 2010, essentiellement en raison de leur trop grande volatilité historique. En fait, ils n’ont jamais détenu d’actions CS en portefeuille, même si l’UBS y a fait son entrée, relativement récemment. Et malgré une sous-exposition systématique aux « Big Three[6] », leur stratégie en actions suisses a surperformé l’indice SPI depuis 2010.

Peut-on être plus intelligent qu’un indice dont le fonctionnement suit une méthodologie ultra-simple (la pondération par les capitalisations boursières), mais qui a néanmoins brillamment réussi le test du temps ? Si l’objectif n’est pas la performance à tout prix, mais également la gestion du risque[7], il y a certainement moyen d’être plus intelligent que les indices en sous-pondérant (ou en ne détenant carrément pas) des titres, voire des secteurs entiers que l’on estime trop risqués ou dont on pense qu’ils vont objectivement devoir sous-performer.

[1] L’action cote toujours jusqu’à la fusion formelle avec l’UBS. A ce moment les actionnaires du CS recevront une action UBS contre 22.48 actions CS.

[2] C’est en réalité beaucoup plus car : a) même les caisses de pension qui investissaient directement en actions ou via une gestion déléguée active avaient probablement également des actions CS en portefeuille ; et b) le montant total géré par les caisses de pension suisses, ainsi que leur allocation aux actions, ont fortement augmenté depuis 2007.

[3] Ce qui implique un style caché appelé « momentum » (https://keywealth.ch/les-risques-caches-des-etfs-indiciels/)

[4] Ceux qui se rappellent que les bénéfices trimestriels faramineux de l’UBS faisaient la une des journaux en 2007 comprennent de quoi je parle.

[5] https://olz.ch/fr/insights/les-filtres-de-risque-olz-ont-exclu-a-temps-les-banques-en-difficulte

[6] Nestlé, Roche et Novartis.

[7] L’objectif principal d’investir en actions est le potentiel de performance à long terme, mais cela s’accompagne par une volatilité élevée et des périodes de baisse importantes dans l’intervalle. Certains investisseurs, comme par exemple des caisses de pension très bien capitalisées (c’est-à-dire avec un taux de couverture disons supérieur à 110%) cherchent cependant moins la performance que la réduction des pertes potentielles.

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Faillites de banques aux US : une nouvelle crise financière ?

Aux Etats-Unis, la banque Silvergate Bank a fait faillite cette semaine après avoir subi un classique « run to the bank », une panique bancaire. Dans une période qui n’a rien de l’environnement apocalyptique de la crise financière de 2008, avec une économie qui se porte très bien (en tout cas pour l’instant), cela est plutôt inattendu.

En fait, pas vraiment lorsqu’on s’intéresse aux activités de cette banque, dont le cours boursier avait dépassé les 200 USD au dernier trimestre 2021, en pleine euphorie des crypto-monnaies[1]. Silvergate Bank était devenue en quelques années le partenaire de choix de plusieurs plateformes de trading de cryptos-monnaies, qui avaient besoin d’une banque afin de permettre à leurs utilisateurs risques-averses de passer par une institution financière régulée pour effectuer leurs transactions en cryptos. Tout allait pour le mieux jusqu’à la fin 2022, lorsqu’une des plus grandes plateformes de trading de cryptos, FTX, a brutalement fait faillite. Il semble qu’à la suite de montages financiers douteux, plusieurs milliards de dollars de dépôts de clients de FTX aient disparu. Cela a provoqué une soudaine prise de conscience que mêmes les plateformes les plus réputées étaient à risque, et donc le rapatriement d’énormes montants en cryptos… en bons dollars sonnants et trébuchants. Silvergate a été donc submergée par des retraits, qui allaient bien au-delà de ses réserves en liquidité, ce qui a provoqué sa perte en quelques jours.

On pourrait considérer cette faillite bancaire comme anecdotique, et contenue au monde opaque des cryptos-monnaies. Or, cette semaine également, une autre banque américaine qui n’a pas grand-chose à voir avec le cryptos, Silicon Valley Bank, annonce être en grande difficulté après avoir également subi une importante vague de retraits. L’indice du secteur bancaire régional américain a d’ailleurs fortement baissé en une semaine, signe qu’une contagion est à l’œuvre. Que se passe-t-il ?

La forte montée des taux directeurs de la Federal Reserve (Fed), dans la lutte acharnée pour combattre l’inflation, commence à faire des dégâts dans le système financier américain. Les banques régionales, notamment, dont l’activité consiste principalement à effectuer des prêts, sont particulièrement touchées. En effet, les banques se financent à court terme et prêtent à long terme, ce qui est normalement rentable lorsque la courbe des taux d’intérêt est « normale[2] ». Or, les taux courts actuels (fixés par la banque centrale) sont à 4.75%, alors que le taux à 10 ans est à 3.72%. Le premier problème est donc que leurs marges sont fortement compressées, voire probablement déjà en territoire négatif. Cela crée des pertes comptables, donc une baisse de leurs bénéfices, et par conséquent un stress sur leurs ratios prudentiels.

Le deuxième problème provient justement du fait que ces banques commencent à faire la une des journaux et que la confiance envers leur santé financière s’érode. Par précaution, les épargnants préfèrent alors retirer leurs billes pour les placer ailleurs, et peu à peu ces banques font face à des retraits de plus en plus importants. Elles sont donc forcées à vendre leurs actifs les plus liquides, souvent des obligations d’état à longue maturité… qui ont perdu beaucoup de valeur en une année en raison de la montée généralisée des taux. Ces ventes provoquent à leur tour des pertes comptables[3], qui aggravent la situation au niveau des ratios prudentiels…  Cela n’a pas échappé aux investisseurs, qui commencent à fuir ce secteur, tant du côté des actions que des obligations. La banque SVB a tenté de se recapitaliser en urgence, mais la spirale infernale semble enclenchée.

Comme le disait Paul Volcker, le président de la Fed qui a vaincu l’inflation au début des années 1980 en réhaussant ses taux directeurs à… 20%, pour véritablement « tuer » l’inflation il faut faire des dégâts au niveau de l’économie ; en d’autres termes, causer des faillites. La Fed de 2023 et son président Jerome Powell sont très déterminés à faire retomber l’inflation, mais en même temps ils ne peuvent ignorer les signes de détresse qui émergent de la partie la plus fragile du système bancaire américain. Il faut un certain temps pour qu’une politique monétaire restrictive fasse effet, et il semble que les premiers dégâts soient en train d’émerger. L’atterrissage risque d’être plus brutal que prévu.

P.S.

Cela peut-il arriver en Suisse ? Ceux qui se rappellent du sauvetage in extremis de l’UBS en novembre 2008, et de la panique qui s’est emparée de beaucoup de clients qui ont viré leurs avoirs ailleurs, savent que cela peut arriver à toutes les institutions bancaires. Mais également que les banques dites « d’importance systémique[4] » seront selon toute vraisemblance sauvées par les autorités si cela s’avère nécessaire, le cas de l’UBS faisant désormais office de précédent. Les banques cantonales bénéficient également de la garantie implicite de leur canton, comme on a pu le voir par exemple avec la BCGE à la suite de la crise immobilière du début des années 1990. Enfin, tout dépôt bancaire en Suisse est garanti en cas de faillite de l’institution bancaire jusqu’à hauteur de 100’000 francs par un système appelé « garantie des dépôts ».

 

 

 

 

[1] Le cours du Bitcoin a atteint son plus haut historique en novembre 2021.

[2] Lorsque les taux à court terme sont plus bas que les taux à long terme.

[3] Silvergate a vendu plus de USD 5 milliards d’obligations au cours du 4ème trimestre 2022, générant des pertes comptables de USD 751 millions, soit les ¾ de sa perte abyssale de USD 1.05 milliards enregistrée sur ce trimestre.

[4] https://www.finma.ch/fr/mise-en-oeuvre/recovery-et-resolution/too-big-to-fail-et-stabilité-du-système/banques-d’importance-systémique/

 

Hypothèque à la retraite : ne vous laissez pas surprendre !

Les propriétaires de leur résidence principale ont profité, ces dix dernières années, d’un environnement de taux d’intérêt exceptionnellement favorable. Cette désormais (très) faible charge d’intérêt a permis à ces heureux propriétaires de dégager des liquidités pour rénover leur bien immobilier, voire pour demander une augmentation de leur hypothèque, en raison notamment de l’augmentation de la valeur vénale de leur bien[1].

Or, peu d’entre eux se préoccupent du traitement que leur banque leur fera subir lorsqu’ils seront à la retraite. Comme nous l’avons souvent évoqué dans ce blog, les suissesses et les suisses doivent s’attendre à une forte baisse de leurs revenus arrivés à l’âge de la retraite. Et lorsqu’on se rappelle des critères d’octroi des hypothèques, qui sont d’ailleurs quasiment identiques au sein du secteur bancaire suisse, on saisit l’ampleur du problème.

Aujourd’hui, les banques refusent de financer un bien immobilier si le « taux d’effort » excède le tiers du revenu brut. Ce taux d’effort est constitué de la charge d’intérêt en prenant un taux de 5% sur le montant prêté, d’un montant équivalent à 1% de la valeur vénale du bien au titre de l’entretien courant, et parfois également un amortissement de la dette en fonction de l’âge du débiteur ou s’il y a un 2ème rang[2]. Résultat : avec un revenu brut qui peut facilement être divisé par deux entre la situation pré- et post-retraite, le banquier (ou plutôt, son comité de crédit) ne sera plus d’accord de renouveler l’hypothèque. A noter qu’en cas de demande d’une hypothèque à taux fixe, le banque refusera en général une échéance après l’entrée à la retraite, pour ces mêmes raisons.

Quelles sont les solutions habituellement proposées par les banques dans cette situation ? Elles vont simplement exiger d’amortir une partie substantielle de la dette hypothécaire, de telle mesure à revenir à un montant prêté compatible avec les nouveaux revenus. En d’autres termes, il faudra utiliser vraisemblablement toute l’épargne du 3ème pilier, plus tout ou partie de l’épargne personnelle, voire même une partie du 2ème pilier. Dans les cas les plus extrêmes, le propriétaire sera forcé de vendre son bien afin de rembourser la banque.

Que faire pour ne pas en arriver là ? Comme toujours, plus tôt on prend conscience du problème, mieux on est en mesure de le gérer. Epargner le maximum admissible dans plusieurs comptes de 3ème pilier et ce, le plus tôt possible, est la première réponse évidente et fiscalement efficiente. Effectuer des rachats dans sa caisse de pension en est une autre. Dans les années à venir, la proportion de retraité-e-s qui vont opter pour retirer leur capital du 2ème pilier va augmenter, et donc on peut d’ores et déjà planifier qu’une partie de ce montant sera utilisé pour amortir l’hypothèque. Il faut rappeler ici qu’il ne s’agit que d’un transfert de capital vers le bien immobilier, dont la valeur nette – pour son propriétaire – va augmenter d’autant.

Il existe pourtant d’autres solutions, plus créatives et moins classiques, comme le crédit lombard ou l’hypothèque inversée, qui permet aux retraités de continuer à habiter leur bien immobilier jusqu’à une date prédéfinie, à laquelle le bien sera vendu.

Et comme le suggère très justement un de mes étudiants, D. Kreutzer[3], on peut également négocier avec sa banque ! Il est absurde d’utiliser un taux d’intérêt théorique de 5%[4] pour calculer le taux d’effort alors que le débiteur va opter pour une hypothèque fixe à 10 ans à 1.5%. Certes, il y a une incertitude sur les taux d’intérêt qui prévaudront à l’échéance de l’hypothèque, mais entre-temps, la charge d’intérêt reste totalement prévisible. Idem pour le fameux 1% de la valeur vénale au titre de l’entretien courant : selon l’état du bien, on peut aisément justifier un taux plus bas.

En conclusion, il faut éviter de se retrouver à court d’options avec sa banque, car on risque de se voir imposer une solution qui ne nous convient pas. Je conseille de réfléchir au problème bien en amont, soit au moins dix ans avant l’arrivée prévue à l’âge de la retraite, et de planifier soigneusement comment l’on va gérer la question de l’hypothèque à cette échéance. Entre-temps les pratiques des banques auront peut-être évolué, ou les taux d’intérêt augmenté, mais ce sont des scenarii dont on peut tenir compte, tout en gardant toujours une saine marge de manoeuvre pour les imprévus.

 

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[1] Selon une évaluation d’Immoscout24 en collaboration avec la société de conseil immobilier Iazi, le prix d’une maison individuelle est presque 10% plus cher qu’à l’été 2020, soit la plus forte hausse depuis 2013.

[2] Les banques ne financent en général que les 2/3 de la valeur vénale sur une hypothèque de 1er rang, qui peut ne pas être amortie. S’il faut aussi financer les 13.3% restants pour arriver aux fameux 80%, il va falloir souscrire à une hypothèque de 2ème rang, qui elle devra être amortie.

[3] David Kreutzer, « La capacité financière calculée pour l’acquisition d’un logement à usage propre en Suisse ». Travail de Bachelor à la HEG Genève, juillet 2021.

[4] Le taux hypothécaire de référence n’a plus atteint ce niveau depuis… 2009.

Frais des fonds 3a : une transparence à géométrie variable

En juin dernier, la conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo interpellait le Conseil Fédéral sur la transparence des coûts des produits d’investissement du pilier 3a. Elle constatait de fortes différences entre eux et notait que certains coûts étaient cachés. Sans surprise, dans sa réponse, l’exécutif explique que le système actuel basé sur la concurrence assure une transparence suffisante sur les coûts et que si l’on prend le temps de se renseigner, on trouve toutes les informations voulues. Affaire classée.

Contrairement aux produits d’assurance-vie, où les coûts opérationnels et de gestion sont effectivement cachés et où même les courtiers et les agents d’assurance eux-mêmes ignorent cette information, les fonds 3a sont plus transparents. Néanmoins, il existe quand même un certain flou dans les informations sur les coûts fournies sur ces produits, ainsi qu’une certaine mauvaise foi du Conseil Fédéral dans sa vision idéalisée du marché « concurrentiel » du 3ème pilier. Ce dernier représente plus de 130 milliards de francs d’une épargne bloquée, ce qui attise évidemment beaucoup de convoitises…

Parlons de la notion de « TER[1] ». Il y a plusieurs manières de le calculer, et même la nouvelle LSFin reste vague sur la notion de « frais récurrents ». Par exemple, si un gérant utilise d’autres fonds, ou des ETFs[2], dans le produit, ce qui est souvent le cas, il n’est souvent pas clair si les frais courants (frais de gestion, frais de structure) de ces instruments sont inclus dans le TER du produit. Si tel est le cas, tant mieux, mais un gérant bancaire prétendra souvent que si le produit 3a est investi dans ses propres fonds, cela est fait à travers les classes « sans frais »… or il ne parle bien évidemment que des frais de gestion[3] ! Les frais de structure de ces fonds, comme les frais de dépôt ou les frais administratifs, sont par contre toujours à la charge de l’investisseur. Et comme bien évidemment ces fonds sous-jacents sont déposés dans la même banque et administrés par la même banque, cette dernière charge donc bien ces frais de structure à double (une fois sur les fonds sous-jacents, et une fois sur le produit 3a).

Lorsque le Conseil Fédéral estime que le marché est concurrentiel, il a bien évidemment raison : chacune et chacun peut choisir librement son partenaire pour son épargne 3ème pilier. En pratique cependant, les clients sont captifs de leur banque ou de leur assurance, par paresse, ignorance ou facilité. Le choix qu’il leur est offert est dès lors limité aux produits internes, et ce ne sont évidemment pas les moins chers ! Une étude récente de la Handelszeitung qui compare l’offre de produits 3a est édifiante : les TERs des fonds 3a bancaires vont jusqu’à 1.70% (UBS Vitainvest World 75 Sustainable, gestion active), alors que les fonds 3a offerts par des fondations sont souvent bien moins chers.

On pourrait également s’étonner des commissions d’achat (voire de vente) chargées sur ces produits, alors qu’ils sont déjà très rentables pour les institutions qui les émettent. Comme client captif, la peine est double : pas de choix, et une pénalité d’entrée, qui réduit d’autant la performance réalisée.

Et je ne parle même pas des performances, car là je serais hors sujet. Mais il y aurait également beaucoup à dire là-dessus. L’étude susmentionnée permet déjà d’avoir une idée de l’ampleur du problème, car une infime partie des produits analysés surperforme l’indice de référence.

Une fois de plus, caveat emptor. Une chose est certaine : ces produits sont très rentables pour leurs émetteurs. Or, chaque franc chargé de trop est un franc de moins épargné pour la retraite, et l’impact cumulatif des frais est énorme sur une durée de plusieurs dizaines d’années. Passez donc du temps pour analyser l’offre disponible sur le marché et, le cas échéant, ouvrez une autre relation bancaire, vendez les produits trop chers et/ou sous-performants et transférez votre capital chez un partenaire plus compétitif.

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[1] Total Expense Ratio.

[2] Exchange-Traded Funds. Fonds de placement qui peuvent être achetés et vendus en bourse, comme des actions.

[3] Les banques n’osent quand même plus charger des frais de gestion à double.

L’or est-il un bon investissement ?

L’or est-il un bon investissement ?

Les craintes d’un retour durable de l’inflation étant le thème majeur de 2021, le moment est opportun de se pencher sur la classe d’actif qui, dans l’inconscient collectif, est censé représenter la meilleure couverture contre ce type de risque.

Rappelons quand même que si la « vraie » inflation[1] devrait effectivement refaire son apparition, cela signifie en général une remontée significative de la courbe des taux d’intérêt et donc une baisse de la valeur de tous les actifs dont les cash flows futurs sont actualisés. En d’autres termes, les obligations chutent (en proportion à leur duration[2]) et les actions subissent également une dévalorisation substantielle afin de revenir à des multiples de valorisation plus raisonnables[3]. Pour un portefeuille traditionnel « mixte » ou « balancé », essentiellement composé d’obligations et d’actions, c’est donc un scénario catastrophique.

 

Le prix de l’or est intrinsèquement instable

Tout d’abord, l’or ne génère aucun rendement, et donc sa valorisation théorique ne peut être déterminée comme les autres actifs financiers générant des cash flows. C’est l’une des raisons fondamentales qui explique pourquoi l’or ne baisse pas « mécaniquement » lors d’une hausse des taux.

Le prix de l’or est donc basé uniquement sur l’offre et la demande. Certains en déduisent qu’il s’agit d’un actif spéculatif, mais il faut rappeler que contrairement aux actifs purement spéculatifs comme les cryptomonnaies, l’or a une utilité d’usage (bijouterie, décoration) et industrielle (c’est l’un des meilleurs conducteurs d’électricité). Il n’en reste pas moins qu’environ la moitié de la demande provient de l’investissement financier (privés, caisses de pensions, assurances) et monétaire (banques centrales). Comme l’offre de métal jaune est plutôt stable et limitée[4], c’est bien la demande d’investissement, la plus volatile, qui affecte le prix de l’or à la marge.

La nature humaine étant ainsi faite qu’une hausse du cours attire de nouveaux investisseurs, une période de hausse de l’or génère plus de demande et prolonge ainsi la phase haussière. Et vice-versa. Le problème avec ce type d’actif est qu’il n’existe pas de valeur « fondamentale » vers laquelle le prix devrait converger[5]. L’or peut ainsi alterner des phases de forte hausse (comme entre 1971 et 1980, où il est passé de 40 à 850 USD) et de forte baisse (comme entre 2011 et 2015, où il a baissé de 45%). Comme les autres matières premières, l’or est donc un actif particulièrement volatile.

 

L’or, un actif de couverture ?

Un actif volatile peut être un bon investissement s’il permet, grâce à une corrélation négative avec les autres actifs présents dans le portefeuille, d’en réduire le risque total. Le premier problème avec cet argument, c’est que la corrélation est une mesure statistique très instable et que rien ne garantit qu’une corrélation historique négative se produira également dans le futur. Les obligations d’Etat ont offert une corrélation (généralement) négative avec les actions pendant une longue période, jusqu’à ce que les taux d’intérêt atteignent zéro et que cela ne fonctionne plus.

L’or est néanmoins toujours considéré comme un « actif refuge », c’est-à-dire qu’il a tendance à prendre de la valeur en temps de crise. Indéniablement, le métal jaune a permis à de très nombreuses familles et institutions de préserver une partie de leur fortune durant les événements catastrophiques de l’Histoire, et ce depuis des millénaires. Plus récemment, l’or est effectivement monté durant la grande crise financière de 2008, alors que les actions perdaient plus de la moitié de leur valeur[6]. Et lors de la correction brutale de 2020[7], l’or a gardé sa valeur. Cependant, au cours de ces deux épisodes, son prix a subi de grandes variations.

Cela explique pourquoi certains gérants de portefeuille allouent une petite part à l’or, afin de servir d’actif de couverture en cas de choc sur les marchés. Mais si cette part est trop petite, l’effet « protecteur » sera peu effectif… Et si cette allocation est trop importante, cela crée de la volatilité dans le portefeuille, avec un coût d’opportunité non négligeable, comme on va le voir.

 

L’impact caché du dollar

Comme toutes les matières premières, l’or est coté en USD. En partant du principe que la valeur intrinsèque d’une matière première n’a rien à voir avec celle du billet vert, si ce dernier se déprécie par rapport aux autres monnaies, le prix des matières premières devrait mécaniquement monter, et vice-versa. C’est effectivement ce que l’on constate avec l’or.

Cela revêt une importance particulièrement importante pour des investisseurs suisses, qui ont vu le USD se déprécier de… 78% depuis la fin des accords de Bretton-Woods en 1971. En d’autres termes, l’or évalué en CHF s’est déprécié de 3% par an uniquement en raison de la baisse du dollar. Lorsqu’on investit en or dans un portefeuille dont la monnaie de référence est le CHF, c’est un élément dont on doit tenir compte. Heureusement, aujourd’hui il existe des véhicules d’investissement couverts contre le risque de change.

 

Quid de l’inflation ?

Quel est le comportement du prix de l’or en période inflationniste ? Comme on l’a vu plus haut, durant la dernière période véritablement inflationniste des années 1970, l’or a effectivement très fortement augmenté, alors que les actions et les obligations s’effondraient. Et sur les dix dernières années, on a constaté une très forte relation entre le prix de l’or et le taux d’intérêt réel[8] USD à 10 ans :

Source : Unigestion

La forte hausse de l’or entre 2018 et 2020 (+75%) peut s’expliquer par la baisse marquée des taux réels US, qui sont passés de 1% à -1% dans la période. Lorsque les taux réels sont négatifs, cela signifie que les investissements dits réels (matières premières, immobilier, actions) deviennent beaucoup plus intéressants que les investissements dits nominaux comme les obligations, dont la valeur s’érode avec l’inflation et dont le rendement direct (coupons) ne réussit même plus à préserver le pouvoir d’achat.

A ce stade il faut rappeler que cette situation de taux réels négatifs est une anomalie provoquée par les politiques monétaires des principales banques centrales, qui maintiennent les taux d’intérêt artificiellement très bas, afin de stimuler les économies développées. Elles y parviennent en injectant des liquidités dans les marchés financiers, notamment via des achats massifs d’obligations, ce qui maintient les taux longs à des niveaux proches de zéro. Ce faisant, elles ont réussi à chambouler complètement le fonctionnement du marché obligataire, qui en temps « normal », devrait accompagner une anticipation de remontée de l’inflation par une hausse des taux longs[9].

La hausse récente de l’or est en réalité une conséquence indirecte des politiques monétaires ultra-expansionnistes des banques centrales plutôt que le reflet de la crainte de la résurgence de l’inflation par les intervenants de marché. Il semble bien que les banques centrales, Fed la première, qui prétendent que l’inflation actuelle est de nature temporaire car résultant directement du bref mais violent choc déflationniste de 2020, aient raison. Les banques centrales sont d’ailleurs en train de préparer les marchés au retour à des politiques monétaires moins expansionnistes pour 2022. Les taux longs devraient donc lentement remonter. Et si l’inflation revient effectivement dans la « norme » de ces dernières années, soit entre zéro et 2%, les taux réels vont repasser en territoire positif et l’or n’a aucune raison de surperformer.

 

Alors, verdict ?…

L’or est-il un bon investissement sur le long terme ? Ca dépend… Les chanceux qui en ont acquis en 1971 à 40 USD l’once sont certainement satisfaits de leur performance à ce jour (8.0% par an en USD, 5% en CHF). Quant à ceux qui en ont acheté au pic de 1980 (850 USD l’once), ils ont dû attendre jusqu’en… 2008 pour retrouver leur prix d’achat et leur performance annualisée à ce jour est misérable (1.8% par an en USD), soit moins que l’inflation. En d’autres termes, la performance réelle de l’or sur les quarante dernières années est… négative. Sur cette période, les actions (et même les obligations) ont été beaucoup plus performantes.

La fin de l’étalon-or en 1971, et le contexte fortement inflationniste des années post-crise pétrolière des années 1973-1981, lors duquel le prix de l’or avait été multiplié par 20, n’ont rien à voir avec le contexte géopolitique et économique actuel. Les forces déflationnistes séculaires, en premier lieu les tendances démographiques défavorables des pays développés (Chine incluse) et l’excès d’épargne que cela provoque, devraient ainsi contenir une hausse durable des prix à la consommation et donc une hausse marquée des taux longs. Une résurgence durable de l’inflation est ainsi hautement improbable, malgré les craintes d’une dévalorisation massive des monnaies fiduciaires que l’on entend parfois (surtout du côté des ayatollahs du Bitcoin).

En conclusion, l’or reste une classe d’actif intéressante dans un portefeuille diversifié en raison de ses caractéristiques de couverture en cas de choc sur les marchés, qui semblent assez robustes. Mais en détenir de manière permanente est certainement sous-optimal. En acquérir après une phase de baisse marquée, en tenant compte de ce qu’il se passe du côté des taux réels et du dollar US, est probablement la stratégie la plus profitable… pour autant que l’on soit capable d’en sortir lorsque le contexte devient moins favorable.

 

[1] On parle ici d’une inflation (mesurée par l’indice des prix à la consommation) qui dépasse durablement – c’est-à-dire sur plusieurs années – les 5% et qui finit par provoquer des hausses de salaires. On en est encore loin.

[2] La duration est une mesure de risque pour les obligations ; elle est proportionnelle à la durée jusqu’à l’échéance.

[3] Dans la période actuelle de taux très bas, il n’y a guère d’alternative aux actions. Mais lorsque les taux sont plus élevés, l’attrait des actions, plus risquées, se réduit et les investisseurs ne sont plus prêts de payer des multiples de valorisation aussi élevés. Aujourd’hui, le ratio cours/bénéfice du marché américain (« P/E de Shiller ») est de 38x, contre moins de 10x au début des années 1980, à la fin de la dernière période inflationniste.

[4] Environ 3’500 tonnes par an, représentant moins de 2% de la quantité totale d’or extraite dans l’histoire (env. 200’000 tonnes).

[5] Le coût de production pourrait représenter une valorisation de référence. En théorie, si le prix du marché chute en-dessous du coût de production de l’or, les mines devraient fermer, ce qui devrait finir par rééquilibrer l’offre et la demande et stabiliser le prix.

[6] Entre le 31 octobre 2007 et le 6 mars 2009, les actions mondiales ont perdu 57% alors que l’or a progressé de 19% (en USD).

[7] Entre le 12 février et le 23 mars 2020, les actions mondiales ont perdu 34% (en USD).

[8] Rendement des obligations souveraines US à 10 ans moins l’inflation actuelle (mesurée par l’évolution du CPI sur les derniers 12 mois).

[9] Lorsqu’ils anticipent une hausse de l’inflation, les détenteurs d’obligations vont vendre leurs titres à duration longue (ceux dont la valeur réelle va être le plus pénalisée si l’inflation augmente), ce qui va provoquer la hausse de leur rendement, et donc des taux longs.

Oui, l’avoir LPP vous appartient (!)

A chaque mois son étude qui amène des informations étonnantes – pour ne pas dire alarmantes – sur le système de prévoyance suisse. Cette fois il s’agit d’une étude de marché effectuée par Sotomo pour le compte de la fondation collective Vita, qui nous apprend que moins de la moitié (44%) des personnes interrogées considèrent leur capital LPP comme faisant partie de leur patrimoine !

Pause. S’agit-il d’une étude sérieuse ? Il semble bien que oui. Cette enquête a été menée sur un échantillon représentatif de 1’608 personnes résidentes en Suisse. Quant à Sotomo, il s’agit d’un institut de recherche indépendant basé à Zürich et fondé en 2007. Et Vita est la fondation collective de la Zürich assurance, l’une des plus importantes en Suisse.

Revenons au message de cette étude : malgré le fait qu’elles cotisent tous les mois pour alimenter leur avoir LPP, une majorité des personnes interrogées semblent donc penser que cet argent « disparaît » quelque part dans les méandres impénétrables du système de prévoyance… et espèrent qu’il pourra être récupéré au moment de prendre leur retraite. Pourtant cet argent leur appartient bel et bien, même s’il est défiscalisé (heureusement !) et qu’il ne doit pas être déclaré comme fortune dans la déclaration d’impôts. La confusion vient peut-être de là.

Et pourtant, on ne peut pas objectivement prétendre que le système est opaque. Chaque année, toutes les personnes cotisant au 2ème pilier reçoivent leur certificat LPP par courrier. Si elles prennent le temps de s’y intéresser, elles y trouveront beaucoup d’informations utiles, comme leur prestation de libre-passage ou encore le montant des rachats possibles. Et en cas de question, tant leur employeur que la caisse de pension doivent être à même d’y répondre.

Malheureusement, cette étude confirme ce que l’on constate en interrogeant casuellement des Suissesses et des Suisses qui ne travaillent pas directement dans le milieu de la prévoyance : le système des trois piliers est compliqué, rébarbatif et peu sont motivés de s’intéresser à leurs droits… au point qu’en 2020, le fonds de garantie LPP indique gérer un total de 159 millions d’avoirs LPP de près de 24’000 personnes qui n’ont pas réclamé leur dû dix ans après le début du droit à la retraite ! S’il paraît incroyable que l’on puisse ainsi « oublier » que l’on possédait un avoir LPP, combien de survivants (veuves, veufs, enfants) ont ainsi été privés de rentes en raison de cet oubli ? Un véritable gâchis.

L’autre message de cette étude est que la moitié des personnes interrogées pensent qu’elles ne recevront pas la totalité de leur avoir de vieillesse indiqué sur leur certificat LPP au moment de prendre leur retraite. Techniquement, ce montant n’est effectivement qu’une projection basée sur des éléments actuels (salaire, taux minimal LPP, etc.) qui peuvent changer dans le futur. Néanmoins, il est probable que cette méfiance soit plutôt un autre indicateur du manque de confiance qu’a la population dans notre système de prévoyance. Les jeunes adultes en particulier semblent désabusés : ils s’attendent à devoir travailler plus longtemps et à la retraite, toucher des rentes plus basses que leurs parents. Ils ont très probablement raison, et cela explique leur propension accrue à l’épargne et à l’investissement. Et c’est exactement ce qu’il faut faire.

Paradoxalement, la génération précédente, actuellement cinquantenaire, pense en général toujours qu’elle va pouvoir profiter des mêmes avantages que les baby-boomers, avec une retraite généreuse voire, pourquoi pas, la possibilité de partir en retraite anticipée… Si pour certains d’entre eux ce sera effectivement encore possible, beaucoup d’autres vont au-devant de grandes déceptions et ils feraient mieux de commencer à s’intéresser à ces questions… afin de corriger le tir avant qu’il soit vraiment trop tard.

L’inexorable essor de la retraite flexible

Le chiffre interpelle : selon une étude de l’OFS publiée il y a quelques jours, près de la moitié des suissesses et des suisses qui ont pris leur retraite en 2019 l’on fait avant d’arriver à l’âge officiel de la retraite. Ces personnes font-elles partie des plus privilégiées ? Pas vraiment : pour celles ayant opté pour la rente, la rente LPP médiane mensuelle s’élève à 1’160.- pour les femmes et 2’144.- pour les hommes. Et pour les personnes ayant choisi de retirer leur capital de prévoyance, on parle d’un montant médian de 59’000.- pour les femmes et de 142’900.- pour les hommes. Même si chaque cas est différent et les motivations toutes aussi variées, il est probable qu’une partie de ces personnes ont choisi de passer leur retraite à l’étranger – car avec un tel niveau de revenus, la vie en Suisse est difficilement envisageable. D’autant plus que la rente AVS est également réduite si on la demande avant l’âge officiel… Faire le choix de la retraite anticipée, c’est donc bloquer le compteur – et espérer avoir fait correctement ses calculs de planification financière.

La même étude montre qu’une faible proportion de la population choisit de percevoir sa retraite après l’âge officiel : 13% des femmes et 7% des hommes pour la rente, et respectivement 21% et 18% pour le retrait en capital. Continuer de travailler après l’âge de la retraite reste souvent compliqué, même si on le souhaite – ou que l’on en a besoin[1]. Le système de prévoyance actuel pénalise en effet les employé/e/s en fin de carrière qui coûtent plus cher à leur employeur que des personnes en début de carrière, en proportion de leur salaire annuel (lui aussi plus élevé d’ailleurs).

Mais les lignes commencent à bouger. La raison principale est démographique : les baby-boomers[2] seront tous partis à la retraite d’ici la fin de la décennie, et une grande partie d’entre eux y sont déjà. La génération suivante, dite « X », est certes déjà bien installée mais bien plus petite en taille, ce qui est le cas également des générations suivantes. Malgré les gains de productivité enregistrés depuis une trentaine d’années, et la digitalisation croissante de l’économie, on ne va pas réussir à éviter un sérieux goulet d’étranglement au niveau de l’emploi[3]. En d’autres termes, les entreprises, mais également l’Etat ne pourront bientôt plus se permettre de laisser tous ces séniors quitter le monde du travail, au risque de perdre un savoir précieux dans de nombreux domaines où l’on constate déjà des pénuries : médecins, ingénieurs, services à la personne, etc.

Or, le monde politique peine à intégrer cette réalité. La proposition du Conseil Fédéral en faveur des chômeurs de plus de 60 ans est certes un premier pas, mais il est bien trop timide : il ne s’agit pas seulement de protéger cette catégorie de travailleurs, mais surtout d’encourager les employeurs de les garder, y compris après l’âge de la retraite s’ils le souhaitent. Dans beaucoup de professions, notamment celles où l’effort physique ou les conditions de travail deviennent pénibles pour les plus âgés, il faut prévoir une évolution de carrière vers des fonctions où leur expérience et leur savoir-faire sont mis en valeur, comme la formation interne, le consulting auprès du management, les relations avec les clients, etc.

L’Etat fédéral, avec ses nombreuses régies, pourrait montrer l’exemple, et les cantons également. Ces derniers pourraient aussi commencer à intégrer des séniors comme intervenants externes ou consultants dans leurs écoles spécialisées, afin de partager leur riche expérience professionnelle avec la nouvelle génération.

Et pour les employés, les avantages de repousser l’âge de la retraite sont nombreux :

  • On peut ainsi rester actif/ve et continuer à contribuer au développement de son employeur et de l’économie, en étant reconnu/e pour ses compétences, ce qui reste très valorisant sur le plan personnel.
  • Les avantages financiers sont évidents : augmentation de la rente AVS (jusqu’à 31.5% pour un report de 5 ans, le maximum), augmentation de l’avoir de prévoyance et de l’épargne, maintien du niveau de vie (permettant par exemple de financer les études longues des enfants), etc.
  • Sur le plan fiscal, on peut continuer à déduire les cotisations du 3ème pilier[4], ainsi que, bien entendu, les dépenses liées à l’activité professionnelle.
  • On dispose enfin de plus de temps pour régler des questions souvent complexes comme l’hypothèque (plus difficile à refinancer à la retraite), la succession, la transmission d’entreprise, etc.

Il y a donc bien une solution « Win-Win » pour les employeurs et les employés s’ils se mettent d’accord pour prolonger leur collaboration au-delà de l’âge officiel de la retraite. Comme ces personnes souhaitent souvent réduire leur temps de travail, le coût total pour l’employeur diminue – ce qui anéantit l’argument-bateau du coût excessif des séniors. Autant s’y habituer, car cette retraite dite « flexible » va devenir la norme – et le plus tôt ce sera le mieux.

[1] Environ 40% des suissesses et des suisses âgés entre 50 et 64 ans souhaiteraient travailler au-delà de l’âge de la retraite, soit env. 230’000 personnes, d’après une enquête de Deloitte Switzerland (2019), disponible ici : https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/innovation/deloitte-ch-en-ageing-workforce-workers-needed.pdf

[2] Personnes nées entre 1946 et 1964.

[3] Selon une étude d’UBS, si les tendances actuelles continuent, le marché suisse de l’emploi sera en déficit de main d’œuvre d’un demi-million de personnes en 2030 (« UBS Outlook Switzerland – Generation Silver in the labour market », 2017)

[4] Jusqu’à l’âge de 69 ans pour les femmes et 70 ans pour les hommes.

Madoff : quelles leçons ?

La mort de Bernard Madoff en prison cette semaine a fait resurgir certains souvenirs. Ceux d’une époque où les hedge funds n’étaient accessibles qu’à une élite et offraient des performances souvent sans commune mesure avec la gestion traditionnelle.

Madoff était pourtant un gérant alternatif en marge de cet univers. Aucun hedge fund ne portait son nom : les fameux fonds « feeders » qui étaient gérés par sa société, Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, étaient néanmoins facilement reconnaissables en raison de leur profil de performance très similaire (en schématisant, une ligne montrant très peu de fluctuations avec une pente de 10%-12%). Si Madoff ne prélevait pas de frais de gestion[1], les promoteurs de ces « feeders » eux, encaissaient les frais habituels chargés dans les hedge funds et se sont donc enrichis de manière indécente en ne faisant pas grand-chose à part chercher de nouveaux investisseurs, ce qui n’était pas trop difficile compte tenu des performances affichées[2].

Entre 2005 et 2007, j’ai eu un accès privilégié à l’un de ces fameux « feeders ». J’ai notamment pu analyser en détail les décomptes de transactions effectuées sur le compte géré par Madoff. Comme je suis de nature curieuse, et pour tenter de percer le secret de cette performance légendaire, j’ai ainsi reconstitué les performances mensuelles du feeder à l’aide des transactions (reçues par… courrier postal, une-deux semaines après leur prétendue exécution). J’ai ainsi découvert que l’essentiel de la performance provenait d’une capacité incroyable de générer des bénéfices sur la partie optionnelle de la fameuse stratégie « split-strike » qu’était censé suivre Madoff : en simplifiant, il achetait ses options sur le S&P 100 au cours le plus bas de la journée, et les revendait au cours le plus haut de la journée [3].

Mais il y avait un autre problème, de nature opérationnelle cette fois : si le volume de marché des options sur l’indice S&P 500 est énorme, celui sur les options sur l’indice S&P 100 est ridicule. En tout cas absolument insuffisant pour permettre à Madoff d’exécuter sa stratégie pour les dizaines de milliards de dollars qu’il gérait. La seule explication était que Madoff ne passait pas ses transactions sur le CBOE[4], mais via des contreparties à Wall Street. Or, après avoir interrogé une bonne douzaine d’anciens traders d’options ayant travaillé auprès des plus grandes banques de la place, aucun n’avait jamais traité avec Bernard L. Madoff Investment Securities LLC. Chaque tentative de demande d’explications auprès de Madoff s’est soldée par une fin de non-recevoir.

Le 11 décembre 2008, en pleine crise financière, alors que ses investisseurs cherchent désespérément à récupérer leur capital, Bernard Madoff avoue à ses fils que « tout n’est qu’un immense mensonge »[5] et se rend aux autorités. Il sera condamné à 150 ans de prison. Au moins trois personnes se sont suicidées à la suite de cette débâcle, et d’innombrables personnes ont perdu toutes leurs économies, sans compter celles qui ont dû « rembourser » au liquidateur tout ou partie des gains fictifs qu’elles ont empoché de toute bonne foi lorsqu’elles ont demandé le remboursement de leur investissement, parfois des dizaines d’années avant la découverte de la fraude.

Pour ceux qui s’en souviennent, l’affaire Madoff a suscité une consternation mondiale. Comment était-ce possible qu’une société aussi en vue sur Wall Street, régulée par la SEC[6], puisse avoir caché une fraude d’une telle ampleur (65 milliards de dollars[7]) pendant plusieurs dizaines d’années ? D’autant plus qu’un certain Harry Markopolos, un spécialiste des options, avait écrit à plusieurs reprises à la SEC en démontrant que la stratégie « split-strike » prétendument suivie par Madoff ne pouvait pas générer les performances affichées et qu’il devait donc s’agir d’une fraude. La SEC avait fini par envoyer une paire de ronds-de-cuir interroger Bernard Madoff, qui les avait facilement roulés dans la farine et l’affaire a été classée. Depuis la SEC a revu ses procédures, notamment en encourageant les lanceurs d’alerte, mais cela n’a pas empêché d’autres scandales d’émerger par la suite.

Doit-on donc totalement éviter d’investir en hedge funds ? Cela signifierait se priver de sources de performances moins corrélées avec les marchés et donc de diversification. Voici quelques pistes pour trier le bon grain de l’ivraie :

  • Rien ne remplace une « due diligence » approfondie effectuée par une personne expérimentée. Il faut impérativement se rendre dans les locaux du gérant, interviewer toutes les personnes-clé et poser les bonnes questions, même les plus dérangeantes, sans états d’âme. Le langage corporel, les attitudes sont alors attentivement scrutées. Tout refus ou manque de transparence est suspect et doit être approfondi. Dans le cas Madoff, c’était déjà là une tâche impossible car aucune visite sur place n’était autorisée[8].
  • Cela peut paraître évident, mais il faut véritablement comprendre la stratégie d’investissement, et plus précisément comment la performance est générée. Personne d’autre que Madoff n’avait réussi à gagner de l’argent de manière durable en suivant une stratégie de « split-strike » : pourquoi donc lui y parvenait-il ? Tant qu’on ne comprend pas, il faut continuer de poser des questions. Et ne pas investir tant que l’on n’est pas totalement satisfait avec les réponses obtenues.
  • Aujourd’hui il est beaucoup plus aisé de trouver des informations sur des personnes : il suffit de « googler » leur nom avec les entités y associées et voir ce qu’il en ressort. Ces « background checks » permettent parfois de découvrir un passé douteux, ou de mettre en lumière des inconsistances dans le CV d’un gérant ou d’un membre de son équipe. Ce sont de bonnes sources de questions pour la « due diligence » sur place.
  • Dans certaines stratégies, une lecture attentive des comptes audités du fonds peut être très instructive. Je me rappelle d’un fonds de « PIPEs[9]» à New York avant la crise financière, qui affichait des performances incroyables. Or, l’audit démontrait que l’immense majorité de cette performance était non-réalisée. En fait, le gérant valorisait lui-même ses positions. Après avoir analysé son modèle de valorisation (subtilement ahurissant), j’ai décidé de stopper net ma « due diligence ». Ce fonds a été accusé de fraude par la SEC quelques années plus tard.
  • Le domicile du fonds – et donc la législation qui s’applique – n’est pas non plus à négliger, car c’est là que les procédures judiciaires devront être menées en cas de litige. Avec la réglementation UCITS, l’Europe possède un arsenal solide de protection des investisseurs, et qui est probablement aujourd’hui l’un des standards les plus élevés, même s’il y a toujours des limites, voire des failles[10]. Les juridictions « exotiques » sont à éviter absolument.

Enfin, je conseille de toujours se fier au bon sens (certains parleront d’instinct, ou d’intuition). Parfois c’est évident, comme des produits qui offrent de juteuses « commissions d’émission ou d’apporteurs d’affaires » ou qui tout simplement promettent des performances irréalistes. D’autres fois c’est beaucoup plus subjectif : « je ne sens pas ce gérant », même si l’on n’arrive pas à formaliser exactement ce qui ne va pas. Dans ces cas, il vaut mieux s’abstenir. L’univers des hedge funds est suffisamment large pour trouver un autre gérant qui fera mieux l’affaire.

 

 

[1] Madoff ne se considérait pas comme un gérant alternatif, mais comme un intermédiaire (« broker ») qui exécutait une stratégie pour ses clients. Il était donc censé se rémunérer sur les transactions uniquement, qu’il passait soit-disant via son autre activité, tout à fait légitime celle-ci, de broker régulé à Wall Street.

[2] L’ironie était que ces promoteurs faisaient croire à leurs clients que c’était un privilège rare d’investir « chez Madoff », alors qu’il en existait plusieurs dizaines, de ces fonds « feeders »…

[3] On sait aujourd’hui que ces faux décomptes de transactions étaient générés par une petite équipe au fameux 17ème étage de l’immeuble de Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, évidemment après les dates de leur prétendue exécution, afin de recréer une performance apparemment crédible mais totalement fictive.

[4] Chicago Board of Exchange, où sont traitées les options listées sur l’indice S&P 100.

[5] Lors de son procès, Madoff dira qu’il pense qu’il a commencé à trafiquer les comptes de ses clients au début des années 1990, afin de cacher des pertes qu’il aurait subi sur sa stratégie, tout à fait légitime à ses débuts. Les procureurs eux, estiment que la fraude a débuté une dizaine d’années plus tôt.

[6] Securities and Exchange Commission, l’organe de régulation financière aux Etats-Unis.

[7] Il s’agit du montant prétendument géré par Madoff lors de sa chute. En réalité, les montants réellement investis par ses clients se montaient à USD 17 milliards. La différence étant la performance fictive.

[8] Très peu d’investisseurs potentiels ont réussi à interviewer Bernard Madoff dans ses bureaux. Ceux qui l’ont fait en sont ressortis avec plus de questions que de réponses, et l’opacité était telle qu’il n’était plus possible de justifier un quelconque investissement.

[9] Private Investments in Public Equities.

[10] Ironiquement, deux « feeders Madoff » étaient des UCITS : le fonds « Luxalpha » au Luxembourg dont l’UBS était la banque dépositaire, et le fonds « Thema International » en Irlande dont HSBC était la banque dépositaire. On a appris par la suite que ces deux fonds ne respectaient pas la législation UCITS. Depuis, cette dernière a été renforcée.

Les risques cachés des ETFs indiciels

En gestion institutionnelle, l’essor de la gestion passive est une tendance lourde. Dans un environnement à rendements bas, chaque centime compte et la chasse aux coûts de gestion est désormais le principal cheval de bataille des consultants. Et il y a bien sûr cette bibliothèque d’études qui démontrent que les gérants actifs, en moyenne, ne réussissent pas à battre leurs indices de référence. Comment dès lors justifier l’investissement dans un fonds géré activement, lorsqu’on peut désormais répliquer un indice quelconque pour un coût dérisoire ? De plus en plus de conseillers en gestion de fortune indépendants se tournent également vers ces produits afin de faire baisser les coûts intrinsèques de gestion pour leurs clients privés. Or, comme on va le voir, ce type de produits qui sont devenus presque des standards contiennent des risques qui ne sont pas évidents à priori (ou volontairement ignorés ?…).

Sur la question de la gestion active vs. passive, qui reste le débat le plus ancien – et toujours très disputé[1] – en Finance, il y aurait beaucoup à dire, et ce n’est pas le propos de cet article.

Ce qui nous intéresse ici c’est le fonctionnement des indices basés sur la capitalisation, qui représentent l’immense majorité des indices que répliquent les ETFs[2] indiciels.

  • Dans le monde obligataire, les indices sont pondérés en fonction de la taille de la dette émise par les divers émetteurs qui le composent. En d’autres termes, plus un émetteur est endetté, plus sa proportion dans l’indice est élevée. Dit encore autrement, plus un émetteur est risqué, plus son poids sera important dans un ETF indiciel obligataire ! Ainsi que l’a démontré une étude récente de BoA, plus la taille d’un émetteur est grande, plus la chute de ses obligations est rapide et violente[3] en cas de dégradation de sa situation financière. Les exemples sont légion : General Motors, Kraft Heinz, Ford, Hertz,… Idem dans l’univers des émetteurs souverains : Argentine, Venezuela, Ukraine, Equateur, Liban…. Comme on peut le voir dans ce graphique de BNP Paribas datant de 2018, la vie d’un indice en obligations émergentes, pourtant bien diversifié, est rythmé par les crises régulières de ses constituants :

 

Il est d’ailleurs ironique de constater que le plus grand émetteur dans l’indice J.P. Morgan Emerging Bond Index Global Diversified[4], le Mexique, est celui qui a fait défaut le plus de fois (dix !) sur sa dette extérieure sur les deux derniers siècles[5].

 

  • Pour les actions, c’est la capitalisation boursière qui est le critère de pondération. Aujourd’hui, cinq titres, les fameux « FAANG » (Facebook, Apple, Amazon, Netflix et Google[6]) représentent pas moins de 18% de l’indice-phare du marché américain, le S&P 500. Le dernier entré dans cet indice, le 20 décembre dernier, n’est autre que Tesla… après avoir bondi de 730% en 2020 ! Les investisseurs détenant des ETFs sur le S&P 500 n’auront donc aucunement bénéficié de l’extraordinaire – certains diront : complètement exagérée[7] – performance de cette action jusqu’à cette date. Par contre, ils sont désormais exposés à hauteur de 1.6% à sa performance future… Aucun doute qu’elle sera bien moins flamboyante.

Investir dans un fonds ou un ETF qui réplique un indice boursier pondéré par les capitalisations revient donc à être exposé aux gagnants d’hier. En termes de styles de gestion, cela s’appelle du « momentum ».  A l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les investisseurs en produits indiciels font donc du « momentum » sans forcément en être conscients. Et tout comme les autres styles d’investissement plus classiques, comme la « Value », les « Small Caps » ou encore le « Low Volatility », le style « Momentum » a ses caractéristiques propres, dont le fait  de se retourner brutalement après une forte hausse.

Même la Réserve Fédérale américaine s’inquiète des risques que représente l’essor des investissements passifs[8]. Car les investisseurs qui achètent ces produits indiciels dirigent leurs capitaux de manière disproportionnée vers les titres ayant la plus grande pondération… ce qui fait encore monter leur cours et créé ainsi un phénomène auto-corrélé typique du style « momentum ». Or ce mécanisme est parfaitement symétrique, et des sorties massives vont provoquer exactement le phénomène inverse… qui alimentera ainsi une spirale baissière. On a eu un exemple de la brutalité du phénomène en mars 2020, où les principaux indices ont chuté avec une rapidité jamais vue auparavant. Sans le support massif et immédiat des banques centrales, le rebond – tout aussi brutal d’ailleurs et qui a également exacerbé les excès de valorisation sur certains « titres stars » – n’aurait pas eu lieu.

Ce type de risque a été également mis en évidence lors de la bulle spéculative de 1999-2000, où après une hausse fulgurante qui a vu la pondération des secteurs dits « TMT[9] » représenter environ un quart des principaux indices de marché des pays développés, l’inévitable retour à la réalité a provoqué un terrible marché baissier qui a duré trois ans. Qui se rappelle des « darlings » de l’époque, comme Nokia, WorldCom, France Télécom et autres Vivendi ? On leur prévoyait la croissance infinie, ce qui permettait de justifier des valorisations extrêmes. Coïncidence fortuite avec ce qu’il se passe actuellement sur certains « titres stars » ? Est-ce vraiment différent cette fois ?…

Ceux qui ignorent le passé sont condamnés à le répéter[10].

 

[1] Sinon, comment expliquer qu’une large majorité de tous les actifs dans le monde soit toujours gérée de manière active ?

[2] Exchange Traded Fund. C’est un fonds qui est coté en Bourse. La plupart des ETFs répliquent la performance d’un indice de marché.

[3]  « The bigger they are, the harder they fall », Bank of America Global Research, 2020.

[4] Sur lequel sont indicés plus de USD 300 milliards, selon le Wall Street Journal.

[5] « Sovereign Bonds since Waterloo », CESifo Working Papers, 2019. A noter que la Colombie et le Costa Rica partagent la première place sur le podium avec le Mexique avec 10 défauts sur la période 1815-2016.

[6] En réalité Google n’est plus listée directement, mais à travers sa holding Alphabet.

[7] Même son CEO, Elon Musk, considère le titre « surévalué ». Et c’était en mai 2020.

[8] “The Shift from Active to Passive Investing: Risks for Financial Stability?”, Federal Reserve of Boston, 2018.

[9] Technologie, médias et télécoms.

[10] «Those who cannot remember the past are condemned to repeat it», George Santayana, 1905.

Le système de retraite suisse se retrouve dans le 2ème quartile au niveau mondial. Vraiment ?

Dans leur dernier rapport « Global Pension Index 2020[1] », Mercer et le CFA Institute évaluent 39 systèmes de retraite à travers le monde selon trois grands critères : l’adéquation par rapport à la aux besoins spécifiques de la population, sa pérennité, et sa bonne gouvernance. Avec 67.0 points, la Suisse se classe au 12ème rang et obtient la note B, loin des deux champions hors catégorie que sont les Pays-Bas (82.6 points) et le Danemark (81.4 points) qui obtiennent la meilleure note, A.

Mais derrière tout classement il y a une méthodologie, et lorsqu’on examine plus près la situation de la Suisse, force est de constater que certaines de ses spécificités expliquent en grande partie les résultats obtenus. A titre d’illustration, prenons les cinq points d’amélioration de notre système que proposent les auteurs :

  • Obligation de prendre au moins une partie de l’avoir de retraite sous forme de rente ;
  • Augmentation progressive de l’âge de la retraite ;
  • Réduction du niveau d’endettement par ménage ;
  • Augmentation du ratio des propriétaires vs. locataires ;
  • Réduction des droits de toucher aux avoirs de prévoyance avant la retraite.

Pour le premier point, il semble aujourd’hui peu pertinent, car encore près de la moitié des retraité-e-s choisissent la rente[2]. Si les caisses de pension souhaiteraient certainement que cette proportion soit plus basse, la tendance vers le retrait partiel, voire total de l’avoir de prévoyance en capital progresse lentement mais sûrement en raison de la baisse continue des taux de conversion.

Le second point est indiscutable, et il est à l’agenda des autorités politiques.

Les troisièmes et quatrièmes points sont liés. La Suisse a le plus haut taux d’endettement des ménages au monde[3], mais cela n’étonne personne qui vit dans notre pays. Les suissesses et les suisses ne sont pas des sur-consommateurs maladifs cumulant les cartes de crédit. L’endettement provient bien entendu des hypothèques détenues par les propriétaires qui, en raison des prix de l’immobilier résidentiel, sont très élevées en comparaison internationale. Or, en raison des taux d’intérêt très bas et de la déductibilité fiscale des dettes privées, il est tout à fait rationnel pour un propriétaire de ne pas amortir son hypothèque de 1er rang[4].

Il faut également mettre en regard le taux d’épargne, et là qu’est-ce que l’on constate ? Que la Suisse est là aussi la championne du monde ! Sur un classement de 22 pays établi par Statista[5], le taux d’épargne des ménages suisses atteint 17.6% du revenu disponible en 2019, devant la Suède (17.1%). Selon un autre classement[6] en fonction du taux d’épargne des ménages en pourcentage du PIB, la Suisse arrive 27ème sur 178 pays avec un taux de 34.9% pour 2018.

L’endettement hypothécaire étant indissociable du patrimoine immobilier, cela n’a pas échappé aux auteurs qui recommandent aux suissesses et aux suisses de devenir propriétaires. Or, en raison d’une réglementation de plus en plus exigeante, les banques n’ont pas assoupli leurs conditions d’octroi de crédits hypothécaires. Les conditions-cadres ne sont pas prêtes de s’améliorer sur ce plan-là.

Quant au dernier point, il se réfère à la possibilité de retirer une partie des ses avoirs de prévoyance pour se lancer dans une activité indépendante… ou pour acquérir un bien immobilier ! Les auteurs se contredisent donc dans leurs recommandations.

En conclusion, le système de prévoyance suisse, malgré ses défauts bien connus qui font d’ailleurs l’objet d’un énième projet de réforme, est bien meilleur que ce classement semble indiquer. Les auteurs appliquent une même méthodologie à 39 systèmes de retraite qui ont tous des spécificités locales particulières et qui les rendent in fine peu comparables…

 

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[1] Disponible ici : https://www.mercer.com.au/our-thinking/global-pension-index.html

[2] Source : OFS. En 2018, 48% des nouveaux retraité-e-s ont choisi la rente, 19% un mélange entre rente et capital, et 33% le retrait du capital.

[3] Source : IMF. Avec un pourcentage de 128.7% de dette des ménages par rapport au PIB, la Suisse est loin devant le No 2, l’Australie (120.14%) et le No 3, le Danemark (115.5%). Chiffres de 2018.

[4] Il faudra quand même prévoir d’être en mesure de réduire cette hypothèque au moment de la retraite, afin d’éviter une discussion pénible avec sa banque et des conséquences qui peuvent être très sérieuses. Mais c’est un autre sujet.

[5] https://www.statista.com/statistics/246296/savings-rate-in-percent-of-disposable-income-worldwide/

 

[6] https://www.indexmundi.com/facts/indicators/NY.GDS.TOTL.ZS/rankings. Ce classement est à prendre avec des pincettes, car les chiffres de certains pays semblent anciens ou peu plausibles.