Hypothèque à la retraite : ne vous laissez pas surprendre !

Les propriétaires de leur résidence principale ont profité, ces dix dernières années, d’un environnement de taux d’intérêt exceptionnellement favorable. Cette désormais (très) faible charge d’intérêt a permis à ces heureux propriétaires de dégager des liquidités pour rénover leur bien immobilier, voire pour demander une augmentation de leur hypothèque, en raison notamment de l’augmentation de la valeur vénale de leur bien[1].

Or, peu d’entre eux se préoccupent du traitement que leur banque leur fera subir lorsqu’ils seront à la retraite. Comme nous l’avons souvent évoqué dans ce blog, les suissesses et les suisses doivent s’attendre à une forte baisse de leurs revenus arrivés à l’âge de la retraite. Et lorsqu’on se rappelle des critères d’octroi des hypothèques, qui sont d’ailleurs quasiment identiques au sein du secteur bancaire suisse, on saisit l’ampleur du problème.

Aujourd’hui, les banques refusent de financer un bien immobilier si le « taux d’effort » excède le tiers du revenu brut. Ce taux d’effort est constitué de la charge d’intérêt en prenant un taux de 5% sur le montant prêté, d’un montant équivalent à 1% de la valeur vénale du bien au titre de l’entretien courant, et parfois également un amortissement de la dette en fonction de l’âge du débiteur ou s’il y a un 2ème rang[2]. Résultat : avec un revenu brut qui peut facilement être divisé par deux entre la situation pré- et post-retraite, le banquier (ou plutôt, son comité de crédit) ne sera plus d’accord de renouveler l’hypothèque. A noter qu’en cas de demande d’une hypothèque à taux fixe, le banque refusera en général une échéance après l’entrée à la retraite, pour ces mêmes raisons.

Quelles sont les solutions habituellement proposées par les banques dans cette situation ? Elles vont simplement exiger d’amortir une partie substantielle de la dette hypothécaire, de telle mesure à revenir à un montant prêté compatible avec les nouveaux revenus. En d’autres termes, il faudra utiliser vraisemblablement toute l’épargne du 3ème pilier, plus tout ou partie de l’épargne personnelle, voire même une partie du 2ème pilier. Dans les cas les plus extrêmes, le propriétaire sera forcé de vendre son bien afin de rembourser la banque.

Que faire pour ne pas en arriver là ? Comme toujours, plus tôt on prend conscience du problème, mieux on est en mesure de le gérer. Epargner le maximum admissible dans plusieurs comptes de 3ème pilier et ce, le plus tôt possible, est la première réponse évidente et fiscalement efficiente. Effectuer des rachats dans sa caisse de pension en est une autre. Dans les années à venir, la proportion de retraité-e-s qui vont opter pour retirer leur capital du 2ème pilier va augmenter, et donc on peut d’ores et déjà planifier qu’une partie de ce montant sera utilisé pour amortir l’hypothèque. Il faut rappeler ici qu’il ne s’agit que d’un transfert de capital vers le bien immobilier, dont la valeur nette – pour son propriétaire – va augmenter d’autant.

Il existe pourtant d’autres solutions, plus créatives et moins classiques, comme le crédit lombard ou l’hypothèque inversée, qui permet aux retraités de continuer à habiter leur bien immobilier jusqu’à une date prédéfinie, à laquelle le bien sera vendu.

Et comme le suggère très justement un de mes étudiants, D. Kreutzer[3], on peut également négocier avec sa banque ! Il est absurde d’utiliser un taux d’intérêt théorique de 5%[4] pour calculer le taux d’effort alors que le débiteur va opter pour une hypothèque fixe à 10 ans à 1.5%. Certes, il y a une incertitude sur les taux d’intérêt qui prévaudront à l’échéance de l’hypothèque, mais entre-temps, la charge d’intérêt reste totalement prévisible. Idem pour le fameux 1% de la valeur vénale au titre de l’entretien courant : selon l’état du bien, on peut aisément justifier un taux plus bas.

En conclusion, il faut éviter de se retrouver à court d’options avec sa banque, car on risque de se voir imposer une solution qui ne nous convient pas. Je conseille de réfléchir au problème bien en amont, soit au moins dix ans avant l’arrivée prévue à l’âge de la retraite, et de planifier soigneusement comment l’on va gérer la question de l’hypothèque à cette échéance. Entre-temps les pratiques des banques auront peut-être évolué, ou les taux d’intérêt augmenté, mais ce sont des scenarii dont on peut tenir compte, tout en gardant toujours une saine marge de manoeuvre pour les imprévus.

 

Image d’illustration crée par istockphoto

 

[1] Selon une évaluation d’Immoscout24 en collaboration avec la société de conseil immobilier Iazi, le prix d’une maison individuelle est presque 10% plus cher qu’à l’été 2020, soit la plus forte hausse depuis 2013.

[2] Les banques ne financent en général que les 2/3 de la valeur vénale sur une hypothèque de 1er rang, qui peut ne pas être amortie. S’il faut aussi financer les 13.3% restants pour arriver aux fameux 80%, il va falloir souscrire à une hypothèque de 2ème rang, qui elle devra être amortie.

[3] David Kreutzer, « La capacité financière calculée pour l’acquisition d’un logement à usage propre en Suisse ». Travail de Bachelor à la HEG Genève, juillet 2021.

[4] Le taux hypothécaire de référence n’a plus atteint ce niveau depuis… 2009.