Gestion indicielle : le vrai coût de la débâcle du Credit Suisse

Peu après la « fusion » précipitée entre l’UBS et le Credit Suisse (CS), beaucoup de gérants et d’investisseurs en actions suisses ont communiqué que l’impact de la chute finale de l’action de la deuxième banque suisse était nul (ils n’en avaient pas) ou alors très limité. Il faut toujours prendre ces déclarations avec quelques pincettes, car celui qui a vendu ces actions le vendredi peut toujours affirmer qu’il n’en détenait pas lorsque le sort du Credit Suisse a été scellé le week-end suivant…

Mais la question intéressante n’est pas là. Le Credit Suisse était parmi les plus grandes entreprises suisses avant la crise financière de 2008, et par conséquent son poids dans les indices d’actions suisses était conséquent. Début 2007, il était d’environ 7.5% du Swiss Performance Index (SPI). Actuellement[1], il n’est plus que de 0.2%. Pour chiffrer la perte subie par les investisseurs qui détenaient leur exposition en actions suisses via un fonds ou un mandat visant à répliquer le SPI, en gestion passive/indicielle donc, la perte totale s’élève à plus de 7% sur ces 16 dernières années. Si l’on part de l’hypothèse qu’en 2007, la moitié des caisses de pensions suisses avaient opté pour une gestion passive de leur allocation en actions suisses, estimée elle-même à 10%, l’impact en francs de la chute interminable de l’action du CS sur cette période est d’au moins 2 milliards[2] pour l’ensemble des institutions de prévoyance (et on ne parle pas ici de l’AVS et de la BNS, qui gèrent l’argent des Suissesses et des Suisses et qui suivent toutes les deux une gestion purement indicielle).

Bien entendu, la gestion passive/indicielle a également ses avantages, comme celui de sélectionner « automatiquement » les gagnants (c’est-à-dire les actions qui surperforment les autres) car leur poids dans les indices ne fait qu’augmenter dans le temps[3]. Mais cela n’est pas un free lunch, et pour avoir cela il faut accepter de rester exposé aux « perdants », c’est-à-dire ceux qui sous-performent les autres, à l’instar du CS.

Y avait-il un moyen d’identifier plus tôt une telle débâcle ? Les gérants actifs qui ne détenaient pas d’actions bancaires avant la crise financière de 2008 étaient certes rares, mais ceux qui ont décidé de ne plus en détenir après sont déjà plus nombreux. Leur raisonnement était souvent de considérer que les nouvelles réglementations prudentielles allaient rendre les institutions bancaires moins rentables, et c’est effectivement ce que l’on a constaté[4].

Mais une approche basée sur le risque peut également fonctionner. Par exemple, un gérant basé à Berne a exclu[5] les grands titres bancaires de sa gestion en actions suisses « minimum variance » dès sa création en 2010, essentiellement en raison de leur trop grande volatilité historique. En fait, ils n’ont jamais détenu d’actions CS en portefeuille, même si l’UBS y a fait son entrée, relativement récemment. Et malgré une sous-exposition systématique aux « Big Three[6] », leur stratégie en actions suisses a surperformé l’indice SPI depuis 2010.

Peut-on être plus intelligent qu’un indice dont le fonctionnement suit une méthodologie ultra-simple (la pondération par les capitalisations boursières), mais qui a néanmoins brillamment réussi le test du temps ? Si l’objectif n’est pas la performance à tout prix, mais également la gestion du risque[7], il y a certainement moyen d’être plus intelligent que les indices en sous-pondérant (ou en ne détenant carrément pas) des titres, voire des secteurs entiers que l’on estime trop risqués ou dont on pense qu’ils vont objectivement devoir sous-performer.

[1] L’action cote toujours jusqu’à la fusion formelle avec l’UBS. A ce moment les actionnaires du CS recevront une action UBS contre 22.48 actions CS.

[2] C’est en réalité beaucoup plus car : a) même les caisses de pension qui investissaient directement en actions ou via une gestion déléguée active avaient probablement également des actions CS en portefeuille ; et b) le montant total géré par les caisses de pension suisses, ainsi que leur allocation aux actions, ont fortement augmenté depuis 2007.

[3] Ce qui implique un style caché appelé « momentum » (https://keywealth.ch/les-risques-caches-des-etfs-indiciels/)

[4] Ceux qui se rappellent que les bénéfices trimestriels faramineux de l’UBS faisaient la une des journaux en 2007 comprennent de quoi je parle.

[5] https://olz.ch/fr/insights/les-filtres-de-risque-olz-ont-exclu-a-temps-les-banques-en-difficulte

[6] Nestlé, Roche et Novartis.

[7] L’objectif principal d’investir en actions est le potentiel de performance à long terme, mais cela s’accompagne par une volatilité élevée et des périodes de baisse importantes dans l’intervalle. Certains investisseurs, comme par exemple des caisses de pension très bien capitalisées (c’est-à-dire avec un taux de couverture disons supérieur à 110%) cherchent cependant moins la performance que la réduction des pertes potentielles.

Crédit photo : Claudio Schwarz sur Unsplash

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